Festivités de 202

Les festivités de 202

Cet article est l'occasion de vous présenter des monnaies de Septime Sévère et sa famille en lien avec les festivités qui eurent lieu à Rome en 202. La chronologie des frappes de l'atelier de Rome est basée sur l'ouvrage de P. V. Hill (cf. bibliographie à la fin du texte). Cette étude ne se veut pas exhaustive mais entend présenter quelques monnaies caractéristiques en lien avec les fêtes grandioses de 202.
Je présenterai plus tard, dans un autre article, d'autres fêtes qui eurent lieu en 204 pour les Jeux Séculaires.

L'année 202 est une année importante pour Septime Sévère: il rentre à Rome auréolé de sa victoire sur les Parthes, il marie son fils à la fille du riche Préfet du Prétoire Plautien et célèbre ses 10 ans de règne.

1. La préparation des fêtes: les travaux publics et la propagande

En 202, l'empereur est au faîte de sa gloire et entend célébrer avec faste ses Décennales, son triomphe parthique, et le mariage de son fils. Il va vouloir donner un éclat inhabituel à son jubilé en le jumelant avec les deux autres événements. Pour que ces fêtes soient somptueuses, la Ville doit être apprêtée et revêtir ses plus beaux atours. L'empereur entend aussi laisser dans le marbre des traces de son passage à la tête de Rome. La Ville se couvre ainsi de statues des personnages régnants et de leur famille. Mais surtout Rome a été rénovée afin de gommer entre autres les séquelles des incendies de la fin du règne de Commode. Sévère apparaît donc comme le Restaurateur de la Ville (Restitutor Urbis) (1).



On dénombre pour l'ensemble du règne de Septime Sévère vingt-cinq attestations de réfections monumentales et quatorze chantiers de construction et encore il ne s'agit que de ce qui est parvenu jusqu'à nous. De nombreux monuments, ont donc été restaurés, d'autres ont été construits: une fontaine monumentale le Septizonium (achevée en 203), la Porta Septimiana, les thermes Septimianae, l'arc de triomphe sur le vieux Forum qui n'était pas encore achevé en 202 (il sera dédicacé l'année suivante) etc. Il faudra attendre 206 pour voir cette arc de triomphe (2) sur les deniers de Septime Sévère et Caracalla célébrant le quinzième anniversaire du règne de l'empereur.



La propagande bat son plein afin de présenter au peuple l'empereur dans toute sa gloire ainsi que ses futurs héritiers. En effet, en 196 Septime Sévère a désigné son fils aîné Bassianus comme son successeur, puisque ce dernier prend le titre de César. De plus, il s'est rattaché à la prestigieuse dynastie des Antonins en donnant à son fils le nom de Marcus Aurelius Antoninus. En effet, il prétend être fils de Marc-Aurèle et frère de Commode afin de légitimer son pouvoir pris durant la période troublée de 193 à la mort de Pertinax. En 198, Caracalla est nommé Auguste alors que son frère cadet Géta devient César à son tour. La dynastie est installée et Sévère espère qu'elle règnera longtemps sur Rome. On retrouve cette idée sur les fameuses émissions dynastiques en or et en argent de 201 avec des légendes telles que Aeternitas Imperii (3), Felicitas Saeculi (4) ou Concordiae Aeternae (5). L'épouse de l'empereur, la belle Julia Domna, n'est pas oubliée, elle qui fut « Mère des Camps » pendant que Sévère guerroyait en Orient. Sur ces émissions, un des membres de la famille impériale est à l'avers, alors qu'un autre membre ou deux avec bustes accolés ou face à face sont au revers. On trouve même un spectaculaire revers avec le portrait de Domna de face et ses deux fils de chaque côté.



Notons que Septime Sévère est Consul en 202 pour la troisième fois et reçoit le titre de Pieux de même que son fils Caracalla (comme Antonin avant eux) en 201.
On retrouvera d'autres types de revers mettant en scène le pouvoir des Sévères au chapitre suivant.

2. L'Adventus et le triomphe parthique

Septime Sévère avait déjà effectué un adventus en 193 quelques mois après avoir été porté au pouvoir par ses soldats, puis après sa victoire sur Clodius Albinus en 196. Cette fois, au printemps 202, il revient victorieux d'un ennemi extérieur avec son épouse Julia Domna et ses deux fils l'Auguste Caracalla et le César Géta. Cela faisait six années que l'empereur était absent de Rome. L'Arrivée des Augustes est célébrée sur de nombreuses monnaies de Septime Sévère et de Caracalla. Avec l'adventus (6), les personnages sont toujours tournés vers la gauche indiquant un retour vers Rome, contrairement au profectio (le départ) qui représente les personnages tournés vers la droite dans le sens du temps.



La galère que l'on voit par exemple sur des émissions du jeune Auguste Caracalla suggère qu'une partie du voyage en provenance d'Antioche s'est fait par la mer. On distingue d'ailleurs Septime Sévère et ses fils à l'arrière du navire (7). On observe aussi une rangée de cinq rameurs, la poupe est ornée d'un acrostolium et de deux enseignes et la proue d'un rostre et d'un vexillum.
Le RIC indique faussement que le navire se dirige vers la droite, ce qui est repris dans de nombreux catalogues.



Après sa victoire sur les Parthes en 198, qui s'est soldée par le pillage de leur capitale Ctésiphon et une onzième acclamation impériale, Sévère reçoit le titre de Parthicus Maximus en 199.
Le triomphe à Rome en 202 est évoqué par Dion Cassius et Hérodien. L'Histoire Auguste indique que le Sénat avait offert à Septime Sévère le triomphe, mais que ce dernier aurait refusé en raison de la goutte dont il souffrait. Même s'il n'a pas pu faire la remontée du Capitole en char (pompa), des cérémonies ont eu lieu, son fils le remplace grâce à une victoire sur les Juifs lors du passage de l'armée en Palestine (en réalité une simple promenade militaire comme le dit A. Chastagnol), Sévère remontant à pied. L'empereur a délibérément choisi d'effectuer la procession du triomphe le jour de ces décennales afin d'exalter la félicité de l'empereur et de montrer qu'il est sous la protection manifeste des dieux qui lui ont apporté la victoire sur ses ennemis. Cela n'avait jamais été fait avant lui. Des monnaies émises en 202 et en 204, rappellent les succès militaires sur les Parthes à l'aide des revers classiques: allégorie de la Victoire (8) ou trophée avec des prisonniers à ses pieds (9). Les empereurs y sont qualifiés d'Invicti.



Les monnaies émises durant cette période du retour victorieux des empereurs à Rome insistent sur la Sécurité apportée à l'Empire par cette victoire sur les Parthes (10) et sur le fait que Rome et ses Princes règnent sur le monde. Sur le revers de la monnaie avec la légende Rector Orbis (11), Caracalla est représenté en Soleil, astre du Jour apportant la lumière à toute la Terre. Sévère est Fundator Pacis (12), il prétend ainsi avoir restauré la Pax Romana de la période Antonine dont il rattache fictivement ses origines.

3.Les jeux décennaux et le mariage de Caracalla et Plautille

Il est de tradition depuis Auguste, de célébrer les dixièmes anniversaires d'avènement. Pour célébrer le retour à la stabilité et enraciner dans la durée la nouvelle dynastie qu'il a créée, Sévère entend donner un faste particulier à ses Décennales. Des monnaies sont évidemment frappées pour la circonstance, afin de faire connaître l'événement à tout le monde (13). Ces fêtes consistent en des cérémonies religieuses : remerciements aux dieux pour la bonne issue de la période écoulée (vota soluta) et vœux pour celle à venir (vota suscepta). De nombreux sacrifices sont aussi offerts aux dieux du Capitole ou tutélaires. La santé et le succès des maîtres de l'Empire étant la condition pour une prospérité de tous, il faut donc que les dieux prolongent les faveurs d'une période à l'autre (14), un peu à la manière d'un contrat. Des vœux propitiatoires sont également formulés pour la réalisation à venir des décennales de Caracalla (15). Notons aussi que le jeune Auguste est consul cette année-là.




Notons que le revers de la monnaie (15), frappé spécialement pour l'occasion comme celle de Laodicée (13) se rattache à un type existant auparavant, alors que celui du denier (14) est une création avec une composition plus complexe. Par contre, cette dernière monnaie est commémorative et aurait été frappée lors du quinzième anniversaire de la prise de pouvoir de Septime Sévère. Les fêtes qui ont lieu le 9 avril 202 et les jours suivants nous sont biens connus grâce au témoignage oculaire de Dion Cassius qui a décrit avec beaucoup de détails les cérémonies, congiaires, banquets et jeux.
Les Décennales sont aussi l'occasion de distribuer des largesses à la plèbe frumentaire et aux prétoriens. On parle de 200 millions de sesterces à 200 000 bénéficiaires, soit des sommes jamais atteintes. Il semblerait que pour la première fois les distributions n'aient pas été faites avec des monnaies de la circulation normale, mais avec des frappes particulières. Ainsi les bénéficiaires avaient dans les mains des monnaies évoquant les cérémonies mêmes. Malgré tout, des frappes commémoratives les années suivantes auront également lieu. La monnaie (16) évoque ces largesses avec la figure classique de la Libéralité. Il s'agit de la troisième depuis l'avènement de Sévère.



Les sénateurs ne sont pas oubliés pour autant, ils sont tous invités au palais impérial pour un banquet fastueux avec viandes crues et cuites ainsi que des animaux vivants probablement des huitres, crustacés ou petits poissons.
Le clou de ces Décennales sont bien sûr les jeux donnés à l'occasion aux frais de l'empereur et du Préfet du Prétoire Plautien. Pour ces Ludi, Septime Sévère entend surpasser ceux donnés jusque là. Une célèbre monnaie exaltant la « joie du temps présent » (Laetitia Temporum) montre des venationes au Cirque Maxime marqués par l'exhibition et le massacre de sept-cents animaux en sept jours (17). Cet auréus connu à plusieurs exemplaires, dont un avait été volé en 1831 au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, présente un aménagement insolite en forme de navire au niveau de la spina. Cette pièce représente une course de quadriges ainsi que des animaux d'une chasse: autruche, lion, taureau, ours. Dion signale aussi un fauve mystérieux et inédit, le corocottas. Des spectacles ont aussi dû avoir lieu dans l'Amphithéâtre Flavien.



Dion signale aussi que le mariage de Caracalla, quatorze ans, et Plautille, plus jeune encore, fut fixé délibérément au même moment, afin d'accentuer le caractère bienheureux de la fête, le 15 avril 202. Les deux jeunes promis sont apparentés, car le père de la mariée est parent de Septime Sévère par la lignée féminine.
Les cadeaux dotaux offerts par Plautien sont transportés en grande pompe par le Forum jusqu’au palais du Palatin et exhibés sur des plateaux hissés à bout de bras en présence d'une foule immense.
Plautien renforce son pouvoir en devenant le beau-père du prince héritier.
Signalons que c'est la première fois qu'un mariage est fixé lors d'un jubilé décennal.
Le mariage suit la tradition romaine: avec pour la mariée une tunique sans ourlets, un manteau et des sandales safran, l'immolation d'une bête et la prise d'auspices, l'échange des consentements (Vbi tu Antoninvs, ego Plavtilla) et le banquet où sont invités sénateurs et monarques comme Abgar VIII, roi d'Edesse. Cependant, ce banquet par sa profusion propre au comportement d'un parvenu, a été jugé indigne de la sobre vertu romaine. Après le coucher du soleil, un joyeux cortège ramène le couple dans l'aile réservée du palais où Plautilla doit franchir le seuil sans toucher le sol. La monnaie (18) exalte la concorde des époux. La quasi-totalité des types de Plautille en 202 représente la Concorde en tant que personnification ou à travers le couple impérial qui est représenté main dans la main. Le revers Propago Imperi suggère qu'un enfant, mort en bas âge, a rapidement été le fruit de cette union qui fut finalement malheureuse (19). Les deux jeunes mariés ne se sont en fait jamais entendus. Plautille sera ainsi exilée aux îles Lipari après la disgrâce de son père en 205, puis finalement exécutée lorsque Caracalla deviendra seul maître de Rome.



Ces monnaies illustrent les événement qui ont donné lieu à des festivités grandioses en avril 202: triomphe parthique, Décennales de Septime Sévère, mariage de Caracalla et Plautille. L'empereur a voulu conférer à son jubilé un retentissement plus grand que pour les fêtes données par ses prédécesseurs et faire de lui l'apogée de son règne. Cette date symbolique marque la gloire personnelle de Sévère et ses succès complets militaires et politiques. En mettant en avant sa famille, il affirme son principe dynastique. Cependant, cette harmonie n'est que de façade: jalousie de Géta envers Caracalla, mésentente du couple que ce dernier forme avec Plautille, irritation croissante de Sévère envers le riche Plautien. Ce dernier sera finalement mis à mort en 205 et le frère aîné assassinera son cadet dans les bras de sa mère en 212!

Bibliographie:

• Chastagnol, A., Les jubilés décennaux et vicennaux des empereurs sous les Antonins et les Sévères, Revue Numismatqiue 1984 6ème série XXVI.
  
• Christol, M., L'Empire romain du IIIè siècle, 2ème édition, éditions errance.
  
• Compagnie Générale de Bourse, Rome VIII, Vente à prix marqués.
  
• Daguet-Gagey, A., Septime Sévère – Rome, l'Afrique et l'Orient, Biographie Payot.
  
• Hill, P. V., The Coinage of Septimius Severus and his family of the Mint of Rome, Sanford J. Durst.
  
• Mattingly, H., Coins of the Roman Empire in the British Museum, Volume V, 2nd edition, Spink.
  
• Mattingly, H. and Sydenham, E. A., The Roman Imperial Coinage, Volume IV, Spink.
  
• Seaby, H. A., Roman Silver Coins, Volume III, 2nd edition, Seaby.

je n'ai qu'un mot : ... ah non j'ai un deuxième :

Et enfin je dirais que je suis très honnoré que tu veuille bien travailler sur le site sur cette période !!!

L'article en PDF est sur le site : http://fredericweber.com/septime_severe/fetes_202.pdf

Septimus. :super20: pour l'excellent article, très bien écrit et bien illustré . Ce type d'étude place les monnayes sous une perspective humaine et historique qu'on ne pourrait pas trouver sans ces renseignements et donne une vision d'ensemble au monnayage qui le met plus en valeur. :mdr59: :salut6:

Très beau travail, merci

Bel article qui en plus permet de nous présenter des monnaies de rêves ! :mdr59: :mdr59:

ca a l'air excellent, j'imprime et lis ça à midi!

Merveilleux article ! :salut6:

Félicitations pour ce gros travail superbement écrit et illustré. :merci3:
Bien sûr je nuancerais sérieusement la "victoire" de Septime Sévère sur les Parthes, ce qui ne surprendra personne...

Superbe travail !!

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HS : dit moi fred, les pdf dispo sur le site sont listé quelque part ? J'ai pas mal de retard sur les publication je pense ...

HS2 : je t'ai proposé de l'aide sur un autre post ya pas lomgtemps ... Mais je sais pas si tu a fait le raprochement entre mon pseudo et ma personne ? Histoire que t'arrive a me contactez si besoin ...

eduens89 a écrit:

Superbe travail !!

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HS : dit moi fred, les pdf dispo sur le site sont listé quelque part ? J'ai pas mal de retard sur les publication je pense ...

HS2 : je t'ai proposé de l'aide sur un autre post ya pas lomgtemps ... Mais je sais pas si tu a fait le raprochement entre mon pseudo et ma personne ? Histoire que t'arrive a me contactez si besoin ...

c'est le seul PDF sur le site en fait car je ne sais pas les faire, mais la liste des articles est ici : http://www.fredericweber.com/cotations_articles.htm

Oui j'ai compris qui tu étais, je t'ai écris un mp hier soir, on va essayer de se capter sur msn un de ces soirs

à tous!
Ca me fait plaisir de savoir que cette présentation vous a intéressée.
Alwin, en effet, on peut relativiser la victoire Parthe, mais ce sujet mériterait à lui seul un article détaillé un peu à la manière de la synthèse que tu as brillamment faite sur les relations entre Romains et Parthes, mais cette fois-ci concentrée sur la campagne de Sévère. . .

Splendide travail Septimus, et l'evocation de Plautille, comme tu le sais, est toujours un plaisir pour moi

Merci

Potator

Potator II a écrit:

Splendide travail Septimus, et l'evocation de Plautille, comme tu le sais, est toujours un plaisir pour moi

Merci

Potator

amoureux ?

De Plautille, un peu oui, mais elle est mal mariée et son mec a l'air un peu violent, alors je ne le fais pas trop savoir, vaut mieux etre prudent.

Merci beaucoup pour ton article, que j'ai enfin eu le temps de lire ce matin. C'est très intéressant !

J'ai une question : je me demandais si tu pouvais résumer rapidement sur quoi se fonde Hill pour dater des monnaies qui ne mentionnent pas les charges et les titres impériaux. Pour la première monnaie, par exemple, restitutor orbis, ou mieux, la troisième monnaie, aeternit imperi, qui ne mentionne pas la victoire sur les Parthes, contrairement à la première.

Merci encore.

c'est justement la question qu'on se posait hier avec Septimus, Hill ne parle pas de sa méthode.

A propos de Hill vous aurez une surprise bientot car nous travaillons sur le catalogue en ligne de Severe et de sa famille basé sur les émissions de Hill... encore un peu de patience.

Fred a écrit:

c'est justement la question qu'on se posait hier avec Septimus, Hill ne parle pas de sa méthode.

Ah! le vilain garnement !!!

C'est effectivement la question! Il fournit le résultat de sa méthode sans en expliquer les fondements.
Elle est basée sur la théorie des cycles où pour chaque émission, tous les métaux sont successivement (et non simultanément) frappés.
Cette théorie est normalement expliquée par Carson dans le BMC VI.
Je pense qu'il se base aussi sur des informations stylistiques sur les portraits afin de déterminer les dates de frappe. Par contre, j'ai plus de mal à comprendre comment réordonner ces émission chronologiquement. Avant de travailler sur les Sévères, Hill avait écrit un ouvrage sur les émissions sous Trajan entre autres, la méthode est peut-être expliquée dans ce livre.