J'ai un denier d'Elagabale dans ma collection qui représente la pierre sacrée, un grand adorateur du Bétyle... En voici son histoire
1 - ELAGABALE : Le culte du Soleil envahit Rome. Portrait d'Elagabal sur denier et sur un antoninien.(coll IOVI)
Voici un petit article qui je l'espère apportera quelques éclaircissements sur le culte qu'Elagabal tenta d'imposer à Rome durant son règne.
Elagabal (
Marcvs Aurelivs Antoninvs et de son nom antérieur
Varivs Avitvs Bassianvs) était le digne héritier de la religion Syrienne et fut nommé grand prêtre du dieu Helios vénéré dans son pays natal. Fils de Julia Soaemias la Syrienne, il devient empereur dans sa 14eme année. A son titre d’empereur, il joignit toujours celui de grand prêtre d’Elagabal. Sur ces monnaies il se fit le plus souvent représenter dans son office sacerdotal, le montrant devant un autel, faisant des offrandes ou des sacrifices à son dieu. Le nom d’Elagabal signifie le « dieu de la montagne » ou le «dieu Gabal » au sens du dieu du feu. On le trouve sous la forme
Elaiagabalos transcrit en grec de l’arabe du nord
Ilah ha-gabal.
Représentations d'Elagabal sacrifiant pour son dieu sur des deniers.(Coll. IOVI)
Un temple situé à Emèse sur une butte, dont le podium du sanctuaire est de la forme même du bétyle confirme l’origine Syrienne du culte existant déjà depuis fort longtemps. Hérodien parle « d’un temple gigantesque, décoré d’une grande quantité d’or et d’argent, éblouissant de pierres précieuses ».
Les monnaies de Caracalla, d’Elagabal et d’Uranius Antoninus nous renseignent aussi sur l’architecture de ce temple : il s’agit d’un grand sanctuaire rectangulaire entouré d’une colonnade sur ses 4 cotés au milieu desquelles s’élève un podium qui donne accès par un grand escalier à la roche noire d’Emèse. Ce podium devait habiller en partie la butte ou était primitivement érigé le bétyle. Protégée par des balustrades, pour l’adoration des fidèles, la roche d’Emèse était exposée sous 2 parasols.
Monnaie d'Uranius Antoninus représentant la roche d'Emèse dans son temple.Le dieu Elagabal s’apparente donc en réalité aux Ba’als Syriens tel que Zeus du mont Kasios qu’Hadrien escaladait pour contempler le soleil levant. Le soleil était au monde céleste ce que l’empereur était au monde humain :
sol invictvs imperator. Et le jour ou son grand prêtre deviendrait empereur, on toucherait à une sorte d’aboutissement logique et théologique. A peine Elagabal fut il assuré de l’empire par la défaite de Macrin, qu’il n’eut plus qu’une pensée, celle d’installer son dieu à Rome et d’en faire le premier de l’empire dominant tous les autres dieux romains.
. Mais quel est le rapport de la pierre avec le soleil dans cette religion?Une des formes primitives des cultes idolâtriques a été la litholâtrie. On la retrouve dans les temps de barbarie chez presque toutes les civilisations, se servant d’une pierre informe dressée qui servait pour représenter la divinité et offrir un signe sensible aux adorations.
Le Bétyle (dont la traduction est la maison du dieu) est une roche noire tombée du ciel, (sans doute une météorite) de forme conique, qui présente une étoile ou un aigle gravé dessus ou tout du moins formés par les aspérités naturelle de la roche sans l’intervention de la main de l’homme. Ce qui corrobore le témoignage d’Hérodien (sur la surface du bétyle) « les indigènes veulent que ce soit une image du soleil qui n’est pas l’œuvre d’un homme et ils l’adorent comme telle. »
Aureus d'Elagabal sur lequel le Bétyle est orné d'un aigle et le soleil brillant dans le lointain.(NAC 2002 lot 155)On remarque que la dévotion du soleil est typiquement arabe. Les dédicaces consacrées au soleil par les arabes migrants sont nombreuses : les Nabatéens sacrifiaient au soleil sur les toits en terrasse de leurs maisons et les villes syriennes comme Edesse et Hatra de Shamash se distinguent par leur religion héliaque. A Emèse le buste d’hélios apparait au revers des premières monnaies d’Antonin le Pieux.
Le soleil émergeant le matin des sommets des montagnes fut facile à confondre avec un «dieu de la montagne». L’astre semble naitre de la cime mystérieusement. C’est pourquoi à Emèse le soleil était sensé habiter le cône de roche noire et s’était transformé en image divine. Quand le soleil disparaissait à l’horizon, la roche noire restait chaude et les adorateurs du culte avaient l’impression que la puissance du soleil s’était intégrée en elle, d’où le nom de bétyle pour la roche d’Emèse qui signifie la maison du dieu. Lors de processions, on habillait la pierre noire de tissus et de pierreries comme une véritable représentation divine personifiée.
Chez nous aussi, les statues menhirs et certaines idoles celtiques correspondent à des pierres adorées comme le siège d’une présence divine. Dans le cas de l’aérolithe d’Emèse, c’est le soleil qui manifeste son pouvoir divin en laissant tomber sur la terre une roche ainsi signée d’une étoile. L’interprétation de ce signe sur la roche noire comme étant un aigle aurait servi à la romanisation de ce culte Syrien d’ Héliogabale. Lors des cérémonies, on surmontait la pierre d’un aigle avec les ailes déployées. La confusion entre le dieu Elagabal et Jupiter fut vite répandue dans l’esprit du peuple romain.
Denier d'Elagabal dont le revers illustre la cérémonie d'été de la pierre d'Emèse. (Coll IOVI)
Elagabal organisait chaque année un cortège pour transférer la pierre noire d’Emèse dans un sanctuaire de la banlieue romaine. L’empereur fit construire aussi un second temple au dieu Elagabal dans les jardins du faubourg de Spes Vetvs. Chaque année, pendant l’été, la pierre divine était conduite en procession : on la plaçait sur un char magnifiquement décoré de pierreries, trainé par 6 chevaux blancs (selon Herodien, 4 selon la numismatique) qu’aucun homme ne montait, comme si le dieu lui même eut tenu les rênes. C’est ainsi qu’elle est représentée sur un denier avec la légende
Sancto Deo Soli ou 4 parasols se dressent sur le char entourant la pierre soit avec la légende
Conservator Augvsti sans les parasols comme sur l'aureus présenté ici. L’empereur lui-même en costume asiatique menait les chevaux par la bride, marchant à pieds à la tête du char, toujours à reculons, pour ne pas quitter des yeux son dieu. Les gardes entouraient le char. A sa suite on portait les statues de tous les dieux de Rome, transformés en serviteurs d’Elagabal. Puis venait le peuple, tenant des flambeaux, jonchant le sol de couronnes et de guirlandes. Enfin les troupes en armes fermaient la procession. A l’arrivée au sanctuaire du Faubourg, on offrait des sacrifices et on célébrait tous les rites des cérémonies syriennes. La fête se terminait par des courses de chars, des représentations théâtrales et des distributions de vêtements au peuple.
Cette cérémonie s’arrêta avec la mort d’Elagabal et de sa mère le 11 Mars 222 ap JC par les Prétoriens : cet empereur outrageait trop profondément les romains en subordonnant la religion nationale au culte d’un dieu étranger et à des rites obscènes et bizarres. On renvoya alors la pierre d’Emèse en Syrie mais un des temples subsista dans Rome jusqu’au temps de Constantin.
2- A la recherche d'une descendance sacerdotale.Pour continuer mon développement sur l’aérolite d’Emèse, voici le long trajet fait par Elagabal avec le Bétyle entre Emèse et Rome. Parti d’Emèse en juillet 218 ap J.C, il arrive à Rome en Janvier 219 ap J.C.
Etapes du voyage d'Elagabal et du Bétyle vers Rome.Cette procession qui comporta de nombreuses haltes permit à la grand-mère d’Elagabal de préparer des frappes monétaires à Rome à l’effigie du pseudo-Antonin. Cette même grand-mère
Julia Maesa, calculatrice et opportune, voulant retourner dans les fastes de l’
Urbs, ne trouva pas mieux que d’inventer une fausse descendance à son petit fils
Bassius (Elagabal), le prétendant issu de l’union de Caracalla et de Julia Soaemias. Ce qui lui conférait auprès des légions une légitimité pour l’accession au trône.
Julia Maesa, grand-mère d' Elagabal (coll IOVI)L’arrivée d’Elagabal et du Bétyle surprit la population romaine au plus haut point, voyant le nouvel empereur danser devant son dieu d’Emèse, transporté sous 4 parasols et 4 chevaux blanc immaculés.
La première intention d’Elagabal fut d’installer le culte de son dieu invincible et de construire le temple destiné à la pierre noire sur le palatin:
L’Elagabalium. C’était une sorte de temple avec une cour immense sur lequel pouvait se dérouler les fêtes annuelles qu’il donnerait en l’honneur du nouveau dieu de Rome. Les
jardins du vieil espoir à la périphérie de l’Urbs servaient de lieu de culte et de sacrifice durant les cérémonies. Tout les sénateurs et chevaliers de Rome étaient la, installés sur des gradins, admirant le défilé cultuel, l’empereur dansant de façon saccadée devant la pierre noire, revêtu de soie et de pierreries, maquillé avec du Kohl autour des yeux et sur les joues au plus chaud de l’été. Une population intriguée de ces nouveaux rites venu de Syrie, choquée de voir ainsi l’empereur fantasque travesti de la sorte. Ils étaient apeurés car les bruits courraient dans Rome que le culte d’Helios pourrait nécessiter des sacrifices de jeunes enfants choisis parmi les familles de la meilleure classe.
Mais il fallait assurer la descendance, autant pour la continuité de sa dévotion à Helios que pour l’empire.Il décida alors d’épouser
Julia Paula. Mais rien ne vient de ce mariage qui ne fut sans doute jamais consommé ; Il l’a répudie prétextant qu’elle a une tache sur le corps qui gène à son union avec le grand prêtre d’Elagabale!
Julia Paula, 1ere femme d'Elagabal (Coll IOVI)Il décide alors d’organiser le rapt d’une vestale, fille d’un Severus,
Aquilia Severa afin de l’épouser. Vesta déifie le feu de l’état romain qui, unie au feu solaire d’Elagabale rééditera le mariage cosmique de la terre et du ciel. Mais ce mariage n’est pas plus fécond que le premier et il la renvoie comme sa première épouse.
Aquilia Severa, 2eme femme d'Elagabal (Coll IOVI)Il épouse alors l’arrière petite fille de Marc Aurèle,
Annia Faustina, qui a la quarantaine. Mais ce mariage a plus une intention dynastique que de donner une descendance féconde à l'empereur enfant.
Fantasque psychotique, cruel et obnubilé par son dieu, il décide de marier le
Paladium (que les Vestales gardaient dans leur temple) avec la pierre noire venue d’Emèse. Elagabal agit comme un enfant gâté (il n’a que 15 ans) pour qui le pouvoir est un gros jouet. Il enfreint ainsi les lois religieuses de Rome en pénétrant dans le temple de Vesta, s’emparant de la statue de Minerve et l’installant dans l’
Elagabalium en attendant d’avoir de cette union un fils assurant la descendance et la pérennité de l’empire. Mais rien n’en ressortit !
Il décide alors de marier la pierre noire, symbole du soleil avec une divinité africaine nommée
Astroarché ou maitresse des Astres, la sainte patronne de Carthage. Cette divinité était la lune qu’Elagabal voulait marier avec son soleil ! Cette union finirait bien par donner des enfants divins à l’empereur ! on fit donc venir l’idole de Carthage avec les fastes du mariage divins mais rien ne se passa non plus au niveau de la descendance !
Julia Soaemias, mère d'Elagabal (Coll IOVI)Humain ou divin les mariages n’ont rien donné ! On se contentera d’une descendance fictive autant que son ascendance Antonine : celle d’un fils adoptif.
Julia Maesa trouva la solution afin de pérenniser la lignée impériale en proposant à son petit fils d’adopter son cousin germain
Alexianus, fils de
Julia Mamée que l’on appellera
Alexandre Sévère. Elagabal voyait en lui une succession sacerdotale plus que la succession politique qu’insuflait la grand mère Maesa. Il lui apprit à danser, chanter devant le Bétyle à s’habiller de tuniques flottantes et à respecter les rites du culte.
Julia Mammée, tante d'Elagabal (Coll IOVI)Mais à son plus grand désespoir, Elagabal ne réussit pas à convertir Alexandre Sévère à son rôle sacerdotal.
Alexandre Sévère,fils de Julia Mammée et fils adoptif d'Elagabal. (Coll IOVI)