Bonjour,
sachant qu'un certain nombre de membres de ce forum s’intéressent à lui (moi le premier), je vous soumets une petite étude sur Alexandre Le Grand, plus particulièrement sur les monnaies le représentant. J’ai essayé de faire le tour de tous les types grecs où on retrouve son portrait. Le champ n'est cependant pas fermé.
Pour rappel, Alexandre a essentiellement fait frapper un monnayage, devenu classique, présentant à l'avers le buste d’Héraclès coiffé d’une peau de lion et au revers un Zeus trônant et portant un aigle. La titulature est soit ALEXANDROU, soit BASILEUS ALEXANDROU.
C'est le type disons "impérial canonique" qui sera émis encore bien longtemps après sa mort :
Précédemment, et pour une courte période, ont été frappées des monnaies présentant également Héraclès mais avec pour revers un aigle tenant un foudre. Le plus gros module (un statère) présente cependant le visage de Zeus.
En parallèle de ce monnayage, il existe un ensemble de frappes ponctuelles ou locales frappées par les gouverneurs, notamment en Cilicie, ou dans un contexte particulier.
La question est de savoir si de son vivant Alexandre se fit représenter sur des monnaies et, dans l'affirmative, si elles reflètent son « vrai » visage.
Ce roi est sans doute le personnage antique le plus représenté de l’Histoire. Son visage a très vite fait l'objet d'adaptations stylistiques, politiques ou artistiques. Cheveux longs, cheveux courts, jeunesse apollinienne idéale ou majesté amère.
Il a, de son vivant, scrupuleusement veillé à jouer de son image et le choix strict des artistes est relevé, notamment par Plutarque. Cette conscience de l’importance de l'iconographie royale dans la construction d'une idéologie politique se retrouve déjà chez Philippe II son père.
L’image du roi devient le vecteur d’un message adressé à l'ensemble des sujets ou des citoyens. S'y mêle l'illustration de la force, de la sagesse et de la supériorité avec la connotation d'une essence divine plus ou moins clairement affichée.
Il ne nous reste quasiment aucun des portraits contemporains d'Alexandre. Une petite tête d'ivoire retrouvée dans le Tumulus de Verghina (presque assurément le tombeau de son père) nous montre un visage levant les yeux au ciel, comme habité. L'expression est pensive, le cou un peu penché comme il est décrit chez les antiques. Le profil nous montre un front à l'arcade prononcée et un nez curieusement assez busqué en contradiction avec la plupart des représentations connues. N'oublions pas cependant que cet exceptionnel artefact mesure moins de 5 cm et que le sculpteur n'a pas affiné son travail pour ces éléments destinés à orner un lit d'apparat.
Dans le même tombeau, au-dessus de l'entrée une fresque représentant une chasse montre probablement Alexandre à cheval mais la conservation très moyenne permet difficilement de lire ce portrait :
Également, un camée unique conservé au Cabinet des Médailles et attribué à Pyrgotèles qui fait partie de la trinité d'artistes à laquelle Alexandre réservait seuls le droit de le représenter.
Sur cette superbe pièce de glyptique, datée d'environ 325 (soit 2 ans avant sa mort), Alexandre a un visage au menton assez lourd. Le front bosselé est haut. Mise à part la virtuosité de la sculpture, je ne trouve pas une grande beauté à ce visage assez dur et qui semble vieilli avant l'heure (le roi aurait environ 30 ans à cette époque).Il s'en dégage cependant une énergie intense.
A mon sens, c’est très probablement dans ce genre de figurations que se trouve le vrai visage du Conquérant.
Si nous observons le visage du distatère retrouvé dans le fabuleux Trésor de Mir-Zakah, nous découvrons là aussi un visage assez dur, lassé presque. Plutôt carré qu'allongé avec là encore un nez assez busqué. Cette monnaie est unique mais le visage n'est pas vraiment plaisant. S'y distingue cet œil grand ouvert, presque surdimensionné sous une arcade sourcilière impérative. Cette monnaie a probablement été frappé en même temps que la série dite de Poros lors de la campagne indienne (même si les avis des chercheurs restent divergents).
Ce portrait rejoint la première « génération » des tétradrachmes frappés par Ptolémée et portant le type dit à la Tête d’éléphant, très proches.
Ces premiers portraits qui suivent de très prés la mort du Roi, nous montrent un Alexandre au nez bosselé un peu long, aux joues creuses et aux traits marqués. Dans le même sens les premières séries de Lysimaque.
Il se dégage une hauteur naturelle dans l'expression qui correspond bien à ce que disent les textes antiques sur le charisme qu'il dégageait.
Ces 2 types sont, mais c'est mon avis, les 2 portraits les plus réalistes d'Alexandre Le Grand. Il montre un homme qui s'il n'est pas laid n'a pas non plus la beauté idéale qu'on lui prêtera à posteriori.
Dans le même sens, la série inaugurale des lysimaques (frappée lors de la fondation de Lysimachia) nous restitue un alexandre aux traits assez "bruts". Loin des types suivants. Ici on a une vraie "gueule" remplie d'énergie, presque agressive. Celle d'un soudard royal.
Ce qui, somme toute, est logique. N'en déplaise aux alexandromaniaques (dont je fais partie), il y a un monde entre le jouvenceau de 20 ans débarquant en Asie Mineure et rempli d'espérances (suivant ses propres termes) et l'adulte accompli qui a guerroyé 13 ans sans répit, marqué par les blessures et les maladies, l'ampleur des responsabilités, ulcéré par les trahisons, les mutineries et les oppositions.
Les textes antiques, pour ce qu'il nous en reste, nous laisse deviner une nette évolution caractérielle, surtout après la mort d'Hephestion, son favori. L'alcoolisme semble plus prononcé et la clémence beaucoup moins grande. Que son visage, disons le dernier visage, en ait porté la marque semble normal.
Doit-on alors privilégier l’idéal image du jeune preux magnifié ou celle de l'homme qu'il a pu être ? Probablement moins beau que le mythe mais plus humain. son charisme est indéniable et si les yeux sont bien le reflet de l'Ame, alors on comprends que tous les auteurs antiques aient insisté sur son regard indescriptible.
N'oublions pas que pour les Grecs de l'Antiquité la notions de portrait ne se définissait pas de la même manière que pour nous. Le réalisme figuratif était plus ou moins "amélioré" par une volonté d'idéalisation, voir d'assimilation dont Alexandre a très tôt joué (mais même avant lui Philippe II via les portraits du Zeus de ses tétradrachmes).
Portant sur les portraits d'Héraclès des tétradrachmes alexandrins, on ne peut que noter les ressemblances avec le visage du roi particulièrement sur les dernières années du règne et dans la région orientale qui a toujours été la base de lancement des innovations d'Alexandre car plus propices au culte royal.
Le fait que sur le sarcophage dit d'Alexandre (en fait celui du dernier roi de Sidon, Abdalonymos), on puisse voir le roi portant une léonté est la preuve que de son vivant même Alexandre arborait ce type de couvre-chef.
Les textes antiques mentionnent d'ailleurs qu'il arborait aussi, en plus du diadème royal, des cornes postiches liées à Zeus Ammon et qu'au cours du retour de la campagne indienne il imita Dionysos sur son quadrige.
Cette volonté d'assimilation était logique pour un conquérant revendiquant avoir accompli ce que seuls Héraclès et Dionysos étaient réputés avoir réussi. Néanmoins aucun tétradrachme du vivant du roi ne semble indubitablement le représenter hormis peut-être cette frappe de la toute fin du règne où le nez et la mèche frontale (qui évoque l'anastolé, cette double mèche symétrique caractéristique d'Alexandre)individualisent les traits d'Héraclès.
Hors de doute par contre pour l'Apollon figurant sur ce statère de type philippe, sans doute frappé sous le règne de son successeur, Philippe Arrhidée et très proche chronologiquement de sa date de mort. L'Apollon, magistral, a des traits incontestablement individualisés. L'arcade est prononcée, le nez marqué et l'œil a une véritable portée. Les derniers doutes sont ôtés par la coiffure typique d'Alexandre.
La série des tétradrachmes de Lysimaque va développer et enrichir considérablement la représentation idéalisée d'Alexandre. La diffusion de ce monnayage va populariser l'image du héros idéal et figer son visage dans une jeunesse idéale et parfois exubérante.
Le visage devient presque parfait, suivant les canons grecs.
Ptolémée Lagos lui aussi (avant l'abandon de ce type pour ceux à sa propre effigie) a fait lisser progressivement les traits du Conquérant :
Pourtant toujours se reconnaissent les traits caractéristiques d'Alexandre.
Bien plus tard, Rome vainqueur de la Macédoine, usera de cet héritage via une belle série de tétradrachmes type Aesilas :
Encore plus tard, sous Gordien III, toute une série de beaux bronzes manifesta de la fierté nationale du Koinon Macedonien :
voilà un petit tour d'horizon loin d'être exhaustif. Je n'ai pas parlé du type de Seleucos au casque car sans doute une assimilation des traits de ce roi à ceux d'Alexandre. De même pour le fameux décadrachme dit de Poros car le visage minuscule ne permet pas de distinguo pertinent.
Pour conclure, je vous mets cette jolie reconstitution colorisée d'un buste conservé au Louvre (Alexandre Azara) qui est la copie romaine d'une célébrissime statue de bronze conçue par Lysippe et nommée l'Alexandre à la lance :
Espérant ne pas vous avoir lassés