Poteries de mon village d'enfance : Rainvillers

Après le passage de la préparation du déménagement de ma mère en Defcon 3, nous sommes allés nous détendre le neurone en ville. Et là, bonne surprise en errant devant l'Office du Tourisme de Beauvais, une affiche retient notre attention :



Il faut dire que nous avons habité avec mes parents le petit village de Rainvillers situé à 10 km à l'ouest de Beauvais pendant 18 ans. Séquence émotion !

Rainvillers est situé dans la vallée de l'Avelon, à la limite est du Pays de Bray, et dissimulé dans un écrin de verdure. Blotti contre la colline du Mont Rouge (nom dû à l'ocre rouge et jaune ainsi qu'au minerai de fer très présents dans son sol avec probable occupation gauloise) et traversé par le Ru d'Auneuil, le village est dominé par le bois de Belloy, vaste forêt communale. Depuis plusieurs années, Rainvillers s'attache à valoriser son environnement et son architecture locale. Wikipédia mentionne des vestiges d'une villa romaine dite des Orgeries, mais je n'ai pu pour le moment trouver d'informations à ce sujet.



Aussitôt nous nous rendons sur les lieux de l'exposition, la Maison Gréber (Charles Gréber, célèbre céramiste beauvaisien, fit décorer en 1911 la manufacture familiale qui fonctionna aux XIXe et XXe siècles. La façade devint alors un tableau publicitaire de la production des ateliers Gréber. Elle est aujourd’hui le siège du Groupe d'Etudes et de Recherches de la Céramique du Beauvaisis et du Groupe d'Etude des Monuments et Oeuvres d'Art de l'Oise et du Beauvaisis. D’autres éléments de céramique architecturale sont présents à Beauvais, et attestent de la tradition potière du Beauvaisis. L’avenue Victor Hugo et ses maisons bourgeoises aux décors insolites, le boulevard de l’Assault, la rue de la Banque… sont à découvrir au cour d’une promenade citadine :





L'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives présente sur son site l'exposition ainsi :

"Severinus... Ce nom inscrit sur un simple fragment de poterie du début de notre ère a permis aux archéologues d'identifier l'un des artisans qui travaillaient à l'atelier de potiers gallo-romain de Rainvillers. La fouille préventive de ce site a été réalisée en 2005 par une équipe de l'Inrap, en amont des travaux d'aménagement de la RN 31, après qu'une série de diagnostics archéologiques aient permis d'identifier une douzaine d'indices de sites sur le tracé du projet routier.

L'étude désormais achevée, l'Inrap et le service archéologique de la ville de Beauvais proposent, sous la forme de panneaux, de vitrines, de maquettes et d'un documentaire audiovisuel, de restituer l'essentiel des vestiges mis au jour à Rainvillers, à la lumière du contexte archéologique du Beauvaisis durant la période romaine."

La plaquette réalisée pour l'exposition précise :

"Depuis les temps les plus reculés, l'argile et la production de céramiques ont largement contribué à la renommée du Pays de Bray. Les innombrables poteries d'époque romaine déjà découvertes dans le Beauvaisis attestent d'une production très importante, cependant aucun atelier de cette période n'avait encore pu être fouillé, à l'exception de celui d'Aux-Marais (NdlL* : commune limitrophe) dans les années 1960. Ce dernier, et plus récemment celui de Rainvillers, apportent ainsi des données essentielles sur l'implantation et le développement des ateliers de potiers dans la région de Beauvais au cours de la période romaine.

LA TERRE CUITE DES ROMAINS

L'artisanat de la terre cuite est extrêmement important dans l'Antiquité, dans la mesure où il fournit l'essentiel des récipients : ceux utilisés pour le transport ou le stockage des denrées (comme les amphores), la vaisselle de cuisine et de table, sans oublier les briques et les tuiles destinées à la construction des bâtiments.

La conquête de la Gaule par les Romains entraîne une adaptation de la culture gauloise à celle des conquérants. Cette acculturation est évidente lorsqu'on examine la vaisselle. Des formes nouvelles, tout d'abord importées d'Italie, sont rapidement copiées par les Gallo-Romains puis se généralisent : coupes, plats, gobelets, casseroles, marmites, mortiers, cruches, amphores. La diversification des productions est surtout visible aux IIe et IIe siècles, les éléments gaulois et romains étant alors parfaitement synthétisés.

La diversité des formes de poterie révèle une utilisation adaptée de chaque récipient et l'adoption de pratiques alimentaires nouvelles, notamment l'introduction d'ingrédients méditerranéens qui nécessitent des modes de préparation différents, à l'exemple des mortiers traduisant un nouvel attrait pour les aliments pilés et les plats savamment épicés.

LES CERAMIQUES DE RAINVILLERS

Les céramiques fabriquées à Rainvillers représentent la quasi-totalité du vaisselier en usage à l'époque romaine : vaisselle de table (gobelets, bols), vaisselle à feu (plats, casseroles, marmites, bouilloires), vaisselle dévolue au stockage des aliments (amphores, cruches, dolia (NdlL : vases de stockage généralement non tournés)) ou encore à leur préparation (mortiers). La fouille permet d'esquisser une première image des poteries typiques du Beauvaisis au début de Bas-Empire (IIe siècle). Les éléments chronologiques, livrés par la numismatique, l'archéomagnétisme et la céramologie, convergent pour dater une partie de la production vers 275 après J.-C.

Le succès des céramiques du Beauvaisis dans le Nord de la Gaule est certainement dû à la qualité de l'argile et à la dextérité des potiers à fabriquer d'excellentes céramiques à feu, résistantes aux chocs thermiques. Des recherches récentes ont montré que leur diffusion pouvait s'étendre jusqu'à 80 km du lieu de production (Etaples dans le Pas-de-Calais, Beuvraignes dans la Somme, Beaumont-sur-Oise dans le Val-d'Oise), voire bien au-delà comme l'atteste la découverte d'une marmite sur l'île de Guernesey."

* NdlL : Note de la Loutre

L'exposition est modeste (deux petites pièces et demie à l'éclairage néon à l'orientation gênante) mais en voici quelques photos choisies :

Ratés de cuisson, Atelier d'Aux-Marais, Ier siècle après J.-C., Fouilles Jean Cartier 1964-1965 :




LE SITE :

"Le site se trouvait donc à l'époque sur le territoire de la tribu des Bellovaques, au sud-ouest de Beauvais (Caesaromagvs, <<Le Marché de César>>). Situé en haut d'un versant, à proximité immédiate de deux voies romaines, il occupait une position privilégiée et bénéficiait de toutes les matières premières nécessaires pour produire des objets en terre cuite."

TERRE, EAU ET FEU :

"L'établissement d'un atelier de potier sur le site de Rainvillers correspond donc à l'existence de plusieurs facteurs favorables : la présence des ressources naturelles nécéssaires (argiles à proximité, bois, eau, silex, sable...) et la présence d'une voie permettant d'acheminer à Beauvais les poteries destinées à la vente.

L'argile utilisée provient de deux bancs situés à un ou deux kilomètres du site. Il s'agit d'argiles panachées du Barrémien et de Gault. Une fois extraite, elle est préparée pour être façonnée. Cette étape vise à la débarrasser de ses impuretés par différents procédés tes que le broyage, le tamisage ou la décantation dans des fosses remplies d'eau. Deux puits, mis au jour sur le site, assuraient ainsi un approvisionnement suffisant en eau, aussi bien pour la décantation de l'argile que pour l'usage quotidien des artisans (cuisine, hygiène...). Une fois purifiée, l'argile est malaxée pour la rendre plus homogène. Le potier y incorpore ensuite un dégraissant, comme du sable, disponible sur la couverture supérieure du plateau. Le dégraissant augmente la résistance de la pâte aux chocs thermiques et limite l'apparition de fendillements lors du séchage des pots."





"L'environnement proche du site était sans doute plus boisé encore qu'il ne l'est aujourd'hui. Des charbons de bois, prélevés dans les fours lors de la fouille et soumis à une étude anthracologique, devraient apporter des informations sur les essences d'arbrs utilisées pour la combustion des fours."



MATERIAUX NECESSAIRES A LA FABRICATION DE LA POTERIE :

Argiles du Beauvaisis : argile Panachée, argile du Gault, argile de l'Haute Rivière :

Brutes :





Broyées :





Sable de Rainvillers utilisé comme dégraissant, silex broyé pouvant être utilisé comme dégraissant et je vous passe le fagot de bois, les fragments de silex en forme de lamelle ainsi que le broyeur ou percuteur en silex en forme de globe :





Meules découvertes à Rainvillers <<Le Bois de Beaufays>> :



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Diorama de l'atelier Rainvillois :

DE LA PATE AU POT :

"Une fois l'argile prête à l'emploi, on peut la façonner de trois façons différentes : par modelage, par moulage ou par tournage. C'est cette dernière technique qu'ont choisie les potiers de Rainvillers. Encore pratiqué de nos jours, ce procédé consiste à faire tourner un disque (le volant) sur un axe vertical (appelé arbre) ; le bloc de pâte posé au centre du volant est façonné par pressions plus ou moins fortes exercées avec les mains pour obtenir la forme souhaitée. Selon le type de tour de potier, l'arbre peut être calé au sol ou bien tourner en mâme temps que le volant, auquel cas il repose sur un accessoire appelé crapaudine."



"Lorsque le potier a façonné son vase, il peut y appliquer un décor. Pour lisser, graver, déformer ou peindre les céramiques, il dispose d'une large gamme d'outils, dont hélas il ne reste aucune trace sur le site de Rainvillers. La dernière étapes du processus avant la cuisson des poteries consiste à les entreposer au sec, dans un simple local fait de bois et de torchis."

Fosse d'implantation d'un tour de potier découverte à Rainvillers :



LA CUISSON DES POTS :



"Les poteries sont enfin prêtes à être enfournées. Etape cruciale s'il en est puisqu'une cuisson mal maîtrisée peut réduire à néant tout le travail déjà accomli. Le potier doit à la fois rentabiliser le volume du four et veillet à la stabilité du chargement pour éviter tout risque d'effondrement ou de déformation des pots. Les différents étapes de la cuisson font l'objet d'un contrôle tout aussi précis, de la mise à feu jusqu'au refroidissement, en passant par la montée et le maintien de la températur.
A Rainvillers, deux fours faits de tuile sont reliés par une même aire de chauffe, maçonnée à l'aide de blocs de grès. L'un d'eux présente une sole (NdlL : plancher en argile, perforé, séparant le foyer de la chambre supérieure du four) qui s'appuie sur une languette centrale et une banquette périphérique, tandis que celle de l'autre four repose sur des canaux rayonnants. Selon le résultat escompté, le potier peut choisir entre une cuisson à atmosphère oxydante ou une cuisson à atmosphère réductrice. Dans le premier cas, un apport supplémentaire d'oxygène à la fin de la cuisson permet d'obtenir des céramiques de teintes allant du jaune au rouge. Dans le second cas, une privation d'oxygène donne des céramiques de couleur noire ou grise."

Sole reposant sur des canaux rayonnants :



Sole reposant sur une languette centrale et une banquette périphérique



"Il n'est pas exclu qu'en fin de cuisson certains pots soient trop cuits ou pas assez, déformé ou fendillés, ce que l'on appelle des ratés de cuisson. Néanmoins ils peuvent parfois être commercialisés à moindre coût lorsqu'ils sont utilisables. Les autres sont généralement jetés à même le sol ou dans une fosse. Les fours de Rainvillers ont d'ailleurs servi de dépotoirs après plusieurs cuissons."

super reportage
merci beaucoup Loutre

L'AVANCEE DES FOUILLES :

vinc a écrit:

super reportage
merci beaucoup Loutre

Yok yok yok ! Et c'est pas fini... mais ce sera pour demain au mieux avec les objets découverts.

Loutre. Très intéressant sujet et très bien exposé! :mdr59: Une complète leçon de céramique antique!

Je voudrais savoir quelle est l'origine de la graisse dans l'argile. :salut6:

Cher Emblémiste j'avoue que j'ignore exactement cette origine. Je pense qu'on fait en fait ici allusion aux impuretés se trouvant dans l'argile brute. Par ailleurs, je ne sais pas si tu as déjà manipulé de l'argile fraîche, mais celle-ci est très "grasse" au toucher.

Autre précision : les dégraissants peuvent être des petits fragments de sable, brique, poterie pilée, pierres pilées, os, paille... La fonction essentielle du dégraissant est de créer des microfissures qui permettent à l'eau dans l'argile de s'évaporer lors du séchage et de la cuisson sans causer de cassures.

Loutre c'est vraiment passionnant...vite la suite...

, merci Loutre pour ce super reportage !

Loutre a écrit:

je ne sais pas si tu as déjà manipulé de l'argile fraîche, mais celle-ci est très "grasse" au toucher.

Loutre. C'est vrai, j'ai déjà éprouvé cette sensation au toucher. :accord: :salut7:

super reportage, je me suis régalé !

bon eh bien puisque l'expo se déplace à nous, plus besoin d'aller voir celle-ci !

En fait je me suis permis après avoir demandé quand-même de prendre tout en photo puisque l'expo était gratuite.

UN FOUR DE POTIER, COMMENT ÇA MARCHE ?



Le four de potier est composé des éléments suivants :

1. L'aire de chauffe, d'où le potier alimente le foyer en combustible
2. L'alandier, le passage qui conduit la chaleur de l'aire de chauffe vers la chambre de chauffe
3. La chambre de chauffe, où la chaleur est concentrée
4. La sole, une plaque de terre cuite perforée, placée au-dessus de l'aire de chauffe, à travers laquelle la chaleur est diffusée vers le laboratoire ; la sole repose sur des supports qui ont des formesvariées (canaux rayonnants, languette centrale...)
5. Le laboratoire, où sont disposées les céramiques
6. Le dôme, qui recouvre le laboratoireune fois que toutes les poteries y ont été enfournées

Alandier du four 2 dans son état d'abandon : conduit bouché et voûte effondrée :



Canaux rayonnants du four 1 entièrement vitrifiés sous l'action de la chaleur (couleur bleue normalement ; désolé pour la mauvaise qualité de ces photos) :

LES DIFFERENTS MODES DE CUISSON DE L'ATELIER DE RAINVILLERS

Ratés de cuisson de Rainvillers :



Raté de cuisson de Beauvais :



Cuisson Réductrice (teintes sombres) :



Cuisson oxydante (teintes claires) :

Super reporter la Loutre comme animal !!!! :mdr59::mdr59: J'ai eu l'ocassion de fouiller dans un dépotoir non loin de chez moi et c'est allucinant le nombre de raté qui s'y amoncele ! :accord: sur 2 metres voire plus de hauteur ! Je comprend mieux les diférentes teintes de cuisson.

Reportage très sympa,

pour vos encouragements les amis. J'ai encore pas mal de choses à vous montrer sur cette exposition mais suis overbooké.

la je dit monsieur loutre
j'ai appris beaucoup de ton reportage

srad a écrit:

la je dit monsieur loutre
j'ai appris beaucoup de ton reportage

Je n'ai pas fait grand-chose en fait puisque je cite les textes rédigés conjointement par l'INRAP et le Service Culturel de la Médiathèque de Beauvais. Je tiens tout spécialement à faire un clin d'œil particulier à la responsable de ce dernier que je ne connais pas encore et qui se nomme de façon incroyable Madame Laurence de POTTIER !!! :salut6:

Et en fait, je découvre l'exposition en même temps que vous car j'ai fait un mitraillage photo en un temps record qui m'a donné une belle suée !

Ceci-dit, maintenant je me sens prêt pour les top-models !!!

oui mais si tu bave il vont peut être pas te laisser les approcher

Loutre a écrit:

Je tiens tout spécialement à faire un clin d'œil particulier à la responsable de ce dernier que je ne connais pas encore et qui se nomme de façon incroyable Madame POTIER !!!

Loutre. Elle a été choisi à doigt Ça me fait rappeler un oncle à moi qui s'appelait de son prénom Camera et travaillait à la Kodak Camera Co. :incl52: :mdr84: