A la demande de Fred, voici une petite contribution sur le latin utilisé sur les monnaies. Ce n'est pas bien savant, au mieux ce sera un peu rébarbatif. C'est un premier jet, j'améliorerai au fur et à mesure de la progression de la lecture des titulatures du RIC.
Si vous pensez que certains aspects que je n'ai pas traités doivent être développés, ou si des questions doivent être posées, n'hésitez pas.
Le latin au service des monnaiesBref rappels :
5 déclinaisons en latin (les trois premières sont les plus communes, et, partant, celles dont je vais parler), et
six cas. Ce qu’on appelle « cas » est une flexion du mot qui lui donne, en latin, sa fonction : la flexion est un changement de la terminaison du mot, processus identique à nos conjugaisons françaises. Tandis que la fonction des mots français (sujet, complément d’objet, attributs, etc.) est précisée par leur place même dans la phrase et par le jeu des prépositions, en latin, c’est le cas qui la détermine.
Je me propose de décrire les six cas, sous deux aspects : en fonction de leur utilisation sur les monnaies, et selon leurs significations. Pour les plus vertueux, le reste se trouvera dans les grammaires latines.
I Le nominatifPremière déclinaison : -a (
concordi-a)
Deuxième déclinaison : -us (
August-us)
Troisième déclinaison : formes variées (
consul)
Le nominatif est le cas, dans une phrase, du sujet. Il est aussi celui de la
dénomination pure et simple (
nominatiuus descriptiuus) : sur une monnaie, une statue, une peinture, le nom de la personne représentée se met au nominatif. C’est le même phénomène que l’on rencontre sur les vases grec.
Dans une grande majorité des cas, une titulature au nominatif caractérise donc le personnage représenté sur la monnaie. Sur les revers, les titulatures qui développent les charges et titres impériaux (COS, PP, etc) sont au nominatif également. Le motif de revers n’a pas forcément de rapport avec cette titulature, qui ne doit être considérée que comme la continuation de la titulature d’avers qui caractérise l’empereur présent au droit. Ainsi, chez Néron (RIC 26) on trouve la titulature de droit NERO CAESAR AVG IMP autour de la tête nue du prince, tandis que le revers représente la Virtus, et porte la titulature PONTIF MAX TR P VII COS IIII PP.
II Le vocatifCas de l’apostrophe, il n’a pas lieu d’être sur une monnaie. A notre connaissance, aucune monnaie ne porte la marque du vocatif.
III L’accusatifPremière déclinaison : -am (
concordi-am)
Deuxième déclinaison : -um (
August-um)
Troisième déclinaison : -em (
consul-em)
L’accusatif, en latin, indique trois notions : l’extension dans le temps et l’espace, la direction du mouvement, et le
complément d’objet du verbe (COD). Pour qu’il y ait complément d’objet, il faut qu’il y ait un verbe : la taille des monnaies ne permet pas la transcription de phrases entières, et il est rare d’y trouver des accusatifs.
Cependant, les deniers et
aurei de Néron au temple de Janus (RIC 51-52) ont la particularité de nous présenter une vraie phrase :
IANVM CLVSIT PACE P R TERRA MARIQ PARTA (
Ianum clusit pace populo romano terra marique parta : Après avoir procuré au peuple romain la paix sur terre et sur mer, il [Néron] a fermé le temple de Janus).
Ianum (le temple de Janus) est à l’accusatif, et est complément d’objet du verbe
clusit (fermer) dont le sujet non exprimé est Néron (nous rappelons que, comme en italien, les pronoms personnels ne sont pas obligatoires en latin, et que, quand ils sont employés, ils ont une valeur d’insistance).
(
aureus de la collection F. Weber, RIC 50)
IV Le GénitifPremière déclinaison : -ae (
concordi-ae)
Deuxième déclinaison : -i (
August-i)
Troisième déclinaison : -is (
consul-is)
En latin, le génitif est le cas du complément du nom :
Victoria Augusti signifie « la victoire
d’Auguste (ou
de l’auguste) ». Sur ce point, nous devons noter la concurrence de l’autre forme équivalente nom + adjectif épithète
Victoria Augusta. Dans le premier cas,
Augusti est un nom propre et désigne l’empereur en tant que personne, en tant qu’identité. Dans le second cas,
augustus est un adjectif (accordé au féminin, il donne
augusta) ; il signifie « ce qui est le propre de l’Auguste, qui lui appartient ». Importe-t-il de faire une différence entre « la victoire d’Auguste » et la « victoire augustéenne » ? Au mieux, il semblerait que dans le premier cas l’empereur implique davantage sa personne, comme s’il était responsable de cette victoire.
Le génitif peut aussi se rattacher à un nom sous-entendu, tels
filius,
filia (le fils, la fille),
uxor (l’épouse),
aedes (le temple), etc. Ainsi, chez Néron encore, soit la titulature (RIC 1) AGRIPP AVG DIVI CLAVD NERONIS MATER (
Agrippina Augusta diui Claudii Neronis mater : Agrippine Auguste,
femme du divin Claude, mère de Néron). Sur cette monnaie, le génitif
Neronis est complément du nom
mater, tandis que
diui Claudii est complément du nom d’un mot sous-entendu (« épouse ») ; ainsi, la traduction mot à mot donnerait « l’Auguste Agrippine du divin Claude…. ». A cette heureuse époque, les femmes étaient encore la propriété des hommes, et ne quittaient celle de leur père que pour passer à celle de leur époux.
Le génitif peut encore êtres rattaché à une abréviation d’un mot qu’on vient de citer : chez Tibère, on rencontre la titulature TI CAESAR DIVI AVG F AVGVSTVS (
Tiberius Caesar diui Augusti filius augustus : Tibère César, fils du divin Auguste, auguste). Ici, les génitifs
diui Augusti sont compléments du nom
filius, abrégé F.
V Le datifPremière déclinaison : -ae (
concordi-ae) [notons que le génitif et le datif ont la même forme !]
Deuxième déclinaison : -o (
August-o)
Troisième déclinaison : -i (
consul-i) [attention, même forme que le génitif de la 2° déclinaison]
La fonction principale du datif, celle qu’on a le plus de chance de trouver sur les monnaies, est le complément d’objet indirect :
complément d’attribution (donner qqch
à qq’un :
do nummum [accusatif]
Augusto [datif] = je donne un sesterce
à Auguste), et
datif d’intérêt (désigne la personne
pour qui on fait qqch :
percutio nummum Augusto = je frappe une monnaie
pour Auguste).
A l’emploi du datif d’intérêt se rattache le datif de la phrase présente sur la monnaie de Néron au temple de Janus : IANVM CLVSIT PACE
P R TERRA MARIQ PARTA. La forme P(opulo) R(omano) indique qui est le bénéficiaire de la paix que Néron a apportée : après avoir apporté la paix
au peuple romain, (…).
A cet emploi du datif d’intérêt se rattache les monnaies émises
en l’honneur d’un personnage. Ce datif est alors très fréquent dans les monnayages de restauration : on le trouve chez Tibère qui frappe des sesterces en l’honneur d’Auguste après la mort de celui-ci (RIC 63) : DIVO AVGVSTO (en l’honneur du divin Auguste). Il semble que le datif soit utilisé quand la monnaie ne représente pas le personnage décrit par la titulature. Dans le cas du sesterce de Tibère (RIC 63), seule une couronne de feuille de chêne est représentée. Idem pour le sesterce RIC 68, sur lequel on voit un quadrige d’éléphants. En revanche, les titulatures des restitutions qui portent le portrait du défunt sont le plus souvent au
nominatiuus descriptiuus. La consécration de Septime Sévère par son pieux fils se note sur les monnaies par un datif : DIVO SEVERO PIO. L’illustration la plus frappante est la série de restaurations opérée par Dèce : si dans le haut empire, les titulatures des restaurations sont très fréquemment au nominatif, la série de Dèce ne souffre aucune exception. On rencontre DIVO AVGVSTO, DIVO TITO, DIVO NERVAE, etc.
Outre sur les restituions, on rencontre le datif sur les titulatures de monnaies représentant les familiers de l’empereur, en concurrence avec le nominatif : LVCILLA AVGVSTA est en concurrence avec LVCILLAE AVGVSTAE, FAVSTINA AVGVSTA avec FAVSTINAE AVGUSTAE. Les deux monnaies représentent le portait, il n’est plus question de faire la différence que nous avions notée chez Tibère. La différence de signification est minime : dans le premier cas, la titulature de la monnaie qui porte le portrait de Lucille se contente de nous la présenter, de mettre une légende à une représentation. Dans le second cas, la titulature indique que la monnaie a été frappée par l’empereur
en l’honneur de sa chère épouse.
Enfin, il convient de remarquer que la grande majorité des titulatures des monnaies de Trajan sont au datif. Nous n’avons pas encore vérifié si notre hypothèse avait déjà été avancée (dans ce cas il conviendrait de citer la source), ou si elle était vraie (il faudrait dépouiller toutes les titulatures de Trajan en fonction de la date d’émission des monnaies), mais il semblerait que le datif est le plus souvent, pour ne pas dire toujours, employé quand Trajan porte le titre d’
Optimus, conféré en 114. Quand le titre
Optimus n’est pas représenté à l’avers d’une monnaies dont la titulature est au datif, c’est au revers qu’on le trouve. Ainsi, on pourrait avancer que les monnaies de Trajan dont les titulatures sont au datif sont un surcroît d’honneur concomitant déféré au prince, en plus du titre de « meilleur des princes ». A partir du moment où on le reconnaît comme
optimus, il convient de toujours le louer : c’est le rôle du datif.
VI L’ablatifPremière déclinaison : -a (
concordi-a) [même forme au nominatif et à l’ablatif]
Deuxième déclinaison : -o (
August-o) [même forme qu’au datif]
Troisième déclinaison : -e (
consul-e)
L’emploi de l’ablatif est varié et compliqué en latin. Il recouvre les fonctions de
compléments circonstanciels (origine, lieu, date, matière, provenance, moyen, cause, manière, etc.). On trouve un emploi de l’ablatif à valeur de complément circonstanciel de lieu dans la phrase précitée : IANVM CLVSIT PACE P R
TERRA MARIQ PARTA (
terra marique « sur terre et sur mer »).
Un autre emploi compliqué du latin (mais c’est ce qui fait le charme de la langue) est ce qu’on appelle l’
ablatif absolu. C’est une proposition circonstancielle (temps, cause, concession (bien que…) ou condition. Seul le contexte permet de choisir la bonne traduction), dont le verbe est un participe à l’ablatif, et son sujet à l’ablatif également.
Soit l’exemple :
Augusto regnante, complures denarios Iovi percussi sunt (alors qu’Auguste régnait, de très nombreux deniers furent frappés pour Iovi (oui, celui du site !)). Comme dit précédemment, on a le choix entre le temps (alors qu’Auguste régnait…), la cause (parce qu’Auguste régnait…), la concession (bien qu’Auguste régnât), et la condition (si Auguste régnait…). On voit bien que dans le contexte, seule la notion de temps a un sens.
Passons à la monnaie : l’exemple de la monnaie de Néron fournit un emploi de nombreux cas. Il a aussi l’avantage très rare de présenter un ablatif absolu dans sa titulature : IANVM CLVSIT
PACE P R TERRA MARIQ
PARTA.
Un peu d’analyse grammaticale : la proposition principale est
Ianum clusit (il a fermé le temple de Janus) ; la proposition circonstancielle à l’ablatif absolu est «
pace parta » (la paix ayant été procurée). A l’intérieur de cet proposition à l’ablatif absolu sont enclavés le datif d’intérêt «
populo romano » (pour le peuple romain) et l’ablatif complément de lieu «
terra marique » (sur terre et sur mer). Le schéma de la phrase présente sur la monnaie est donc
Ianum clusit // pace ( populo romano / terra marique) parta : il a fermé le temple, la paix ayant été procurée au peuple romain sur terre et sur mer.