Le moustique en Perse achéménide et ses satrapies

Mazdai (Fr : Mazée, Gr : Mazaios, La : Mazaeus), est un personnage de la haute aristocratie Achéménide qui occupe les plus hautes fonctions satrapales de provinces prestigieuses de l’empire perse sous Artaxerxès « Ochos » III, Darius « Codoman » III, puis Alexandre II « le Grand » de Macédoine. Son histoire est révélée essentiellement par les acomptes fournis par Diodore de Sicile, Arrien (d’après Ptolémée), et Quinte Curce (d’après Clitarque).

Mazdai est un descendant d’Hydarnes, l’un des 6 nobles perses dont la conjuration porte Darius « le Grand » Ier au pouvoir. L’importance de ce lignage aux yeux du satrape est telle qu’il le rappelle en donnant le nom d’Hydarnes à son fils ainé. La famille de Mazdai figure donc parmi les plus prestigieuses de l’empire Achéménide, nourrissant des liens étroits et constants avec tous les grands rois. Cette proximité avec le souverain est attestée par les auteurs classiques : Diodore le qualifie d’«ami de Darius », et selon Plutarque « il est le plus important des personnages de l’entourage de Darius ». Mazdai fait donc partie du tout premier cercle de proches de Darius III, et il est très probable qu’il tenait déjà un rang comparable sous Artaxerxès III. Plus que par la possession, la position des nobles perses se définit dans leur rapport don/service ou faveur/loyauté au grand roi, ainsi que par l’importance de leur lignage.

Sa première trace historique nous est livrée par Diodore : satrape de Cilicie, Mazdai est envoyé à Sidon en Phénicie avec Belesys, satrape babylonien de Syrie qui lui est subordonné, pour y réprimer la rébellion menée par le roi Tennes. Sidon est alors la base de préparatifs de l’armée perse qui projette d’envahir l’Egypte ayant fait sécession de l’empire quelques temps auparavant. Les sidoniens massacrent les perses de leur cité, s’approprient les précieux stocks militaires, et brûlent les trières de la flotte d’invasion. Leur rébellion est soutenue, sinon inspirée, par l’Égypte et son pharaon Nectanébo II, soucieux de tenir le puissant voisin Achéménide à distance de son royaume. Nectanébo envoie une armée en soutien à Tennes, commandée par le rhodien Mentôr, qui défait le contingent perse local commandé par Mazdai et Belesys, appuyés par des troupes syriennes et ciliciennes. De telles troupes correspondent à des contingents de levée tributaire, supposées autofinancées, dont la loyauté et l’efficacité sont sans doute fragiles. Cette défaite provoque l’envoi de mercenaires royaux, troupes levées, payées, et entretenues par les satrapes. Avec les contingents précédents elles forment l’armée royale, bien plus redoutable. C’est d’ailleurs à l’arrivée de l’armée royale en renfort que les rebelles se soumettent sans combat. Sidon est sévèrement punie, mais n’est pas rasée comme l’affirme Diodore. Jouissant auparavant d’un statut particulier au sein de l’empire (le roi de Sidon était amiral de la flotte perse sous Xerxès), la ville passe sous administration perse directe pendant un temps (la royauté retourne à Sidon avec Straton II 2 ans après). Tennes est exécuté, tandis que Mentôr connaît une carrière militaire prospère en tant que mercenaire grec sous Artaxerxès dont il gagne les faveurs au point d’obtenir la grâce d’Artabazes, son beau-frère, ancien satrape révolté de Phrygie et exilé en Macédoine. Mazdai quant à lui, prends la Phénicie sous sa charge. Nous sommes en 344 BCE, c’est le début des émissions monétaires de Mazdai à Sidon, qui continue d’y battre monnaie jusqu’à la conquête macédonienne en 333 BCE.

Ces monnayages se rajoutent aux nombreuses émissions Ciliciennes de Mazdai, frappées à Tarse, Soloi, Mallos, ou Issos. Les thématiques de ces monnayages montrent le maintien des traditions locales de gravures, mais introduisent aussi des thèmes typiquement perses tout en adoptant des modèles grecs. L’idéologie de synthèse impériale typique de l’ère Achéménide est donc parfaitement illustrée par ces émissions. Quand il figure sur les monnaies, le nom de Mazdai est écrit mzdy, ou parfois abrévié mz.  Son titre, lui, ne figure pas sur les monnaies à l’exception rare et notable d’une légende : "Mazdai qui est par-delà le fleuve", ce qui montre qu’il a en charge la Syrie et la Cilicie. Sans doute réside-t-il à Tarsus en Cilicie, dans une de ces riches résidences satrapales qui reproduisent la magnificence impériale comme celle décrite par Xénophon dans son Anabase, dont les jardins sont à l’ origine du mot paradis. Mazdai supervise son adjoint, gouverneur de Syrie posté à Damas. Il est également un temps aidé par son fils Brochubelos, pour son gouvernement de Cilicie-Transeuphratène. Le Satrape de Cilicie est en effet assisté de sous-gouverneurs : la province est répartie en subdivisions territoriales dont la charge est attribuée à un dynaste local. Un tel maillage territorial suppose une présence perse diffuse et significative. En Cilicie, de nombreux artéfacts montrent ainsi les traces d’une diaspora perse ou d’emprunts au mode de vie perse, témoins d’une persianisation effective : reliefs, inscriptions montrent ainsi de façon répétitive l’assimilation de titres et de noms perses par des populations dont au moins les élites sont acculturées.

Pendant la décennie qui suit, Mazdai ne figure dans aucun récit ni chronique, et il faut attendre l’invasion d’Alexandre pour le retrouver. Dans un premier temps, Mazdai est étonnement inactif, sa satrapie lui ayant été retirée au profit d’Arsames. On peut y deviner d’une part la défiance de Darius envers le grand satrape, et d’autre part la non prise en compte par le grand roi de l’ampleur du danger macédonien. Le contexte de l’accession récente de Darius au pouvoir et la fragilité de sa légitimité dynastique peuvent expliquer cette défiance. Après l’assassinat d’Araxerxès III puis de son fils Arsès/Artaxerxès IV par l’eunuque Bagoas, Darius III, cousin d’Arsès, était alors placé sur le trône par le même Bagoas. Un haut aristocrate descendant d’Hydarnes, puissant satrape d’une province aussi stratégique qu’immense est un potentiel rival pour un roi ne descendant pas en ligne directe de ses prédécesseurs. La situation à l’Ouest tournant au désastre, ce sont probablement la progression irrésistible d’Alexandre en Syrie et la débâcle perse à bataille d’Issos qui persuadent finalement le grand roi de rappeler Mazdai.

Ce dernier est restauré dans son titre de satrape de Syrie (titre devenu largement symbolique compte tenu de l’occupation macédonienne de la province) auquel s’ajoute le titre de satrape de Mésopotamie qu’il doit donc maintenant défendre. Il se voit confié pour cela le commandement d’une unité de cavalerie composée en majorité de mercenaires grecs. Compte tenu des forces mises à sa disposition, il paraît impossible que Mazdai ait pu recevoir pour mission de confronter directement l’armée d’Alexandre. Il paraît également invraisemblable qu’il ait reçu l’ordre, comme Diodore et Quinte curce l’affirment, d’incendier les terres mésopotamiennes, la fonction satrapale consistant précisément en la protection des provinces. Arrien rappelle que l’aristocratie Achéménide répugnait particulièrement à laisser dévaster les terres dont elle avait la charge. La mission principale de Mazdai est en fait d’empêcher Alexandre de franchir l’Euphrate et de le retarder pour gagner du temps afin de permettre au grand roi de réunir ses troupes et préparer la bataille à l’Est du Tigre. La position sur l’Euphrate est tenue un temps, ce qui empêche les pontoniers macédoniens d’achever leurs travaux sur le fleuve jusqu’à l’arrivée d’Alexandre. Mazdai retire alors ses troupes pour rejoindre Darius.  Alexandre franchit l’Euphrate au Nord, puis le Tigre, et se dirige vers Gaugamèles où la rencontre avec l’armée perse a lieu en 331 BCE.

A Gaugamèles, Mazdai est positionné avec sa cavalerie assistée de chars de combat à faux sur le flanc droit de l’armée perse. Lors du choc entre les armées, ses troupes parviennent à ouvrir une brèche dans la ligne macédonienne, il fait alors donner les unités scythes et cadusienne (montagnards mèdes d’Atropatène) qui enfoncent les phalanges et parviennent au campement de l’armée macédonienne qu’ils dévastent. Il est clair que Mazdai s’est vu ordonner d’opérer la libération des otages de la famille royale, prisonnière d’Alexandre depuis Issos, libération à laquelle il parvient effectivement. Ce succès a toutefois un prix tactique exorbitant : il s’agit en effet du moment clefs où l’armée perse est en passe de pouvoir contourner et encercler les macédoniens, option que rend impossible le choix de se priver d’une partie de ses troupes. En donnant la priorité à la libération de sa famille, Darius vient de perdre la bataille mais ne le sait pas encore. Mazdai n’a d’autre choix que de continuer de presser le flanc gauche de l’armée macédonienne, ce qu’il fait avec succès forçant Parménion en grande difficulté à demander du renfort à Alexandre. Alexandre refuse, et la suite est connue. Après avoir déporté le flanc gauche de l’armée perse, par une charge audacieuse il se jette avec sa cavalerie vers Darius et enfonce les rangs perses par une manœuvre tournante entre leur centre et leur flanc gauche, provoquant la fuite du roi. Alexandre opère alors un mouvement arrière et vient au secours de Parménion. Le combat dure encore des heures mais dès la nouvelle de la fuite de Darius connue, l’armée perse se désintègre. Les troupes de Mazdai se retirent et la famille royale redevient prisonnière. L’unique fait d’arme perse de Gaugamèles est donc à mettre au compte du satrape, qui a failli faire basculer l’histoire. Paradoxe d’un militaire brillant et efficace, mais dont le sens du devoir et la soumission aux ordres de son roi finissent par précipiter la chute de ce dernier.


Mazdai réalise la défaite et comprends que Babylone est perdue. Il décide alors de s’y rendre et fait route au Sud pour rejoindre la ville. Dans le même temps, il envoie son fils Antibelos à la suite de Darius. Le grand roi réfugié à Arbelès après la défaite, décide en effet de faire route à l’Est pour Ecbatane, afin de lever de nouvelles troupes issues de la partie orientale de l’empire. Darius abandonne ainsi Babylone et Suse aux macédoniens, comptant probablement sur les fortifications importantes de Babylone et un siège long pour retarder l’avancée d’Alexandre. L’envoi d’Antibelos par Mazdai auprès de Darius lui permet de s’assurer de la survie de sa famille quoique le futur réserve.

C’est probablement de sa propre initiative que Mazdai prépare la soumission de Babylone, afin d’éviter la destruction de la ville. Mazdai est en effet la plus haute autorité en place, et un tel ordre ne peut avoir été donné par Darius, dont les actes montrent clairement qu’il tente encore de contrer la conquête macédonienne. Si les ordres donnés à Mazdai ou à Abulitès (le satrape de Suse qui lui aussi soumet rapidement la ville) ne sont pas connus, il est en revanche certain que d’autres satrapes ont reçu l’ordre du grand roi d’organiser la résistance à l’avancée grecque et de rester loyal. Le choix de Mazdai n’est certainement pas pris à la légère. Il peut en effet tenter de se retrancher dans la cité, et de tenir un siège mais il choisit de négocier avec Alexandre. Le conquérant a de fait intérêt à accepter une reddition négociée de la ville : se passer d’un siège incertain et long lui permet également de se fournir en troupes fraîches et en vivres, tout en mettant la main sur les richesses à moindre coût. En outre, l’importance politique que revêt la soumission de Babylone et le ralliement d’un personnage aussi proche de Darius est clairement immense. Du point de vue de Mazdai, la soumission négociée lui permet de sauver sa famille, la province et la ville dont il a la charge, ainsi que de préserver son statut. On peut également penser que des raisons affectives influencent la volonté de Mazdai de faire épargner Babylone : il est très probable que l’attention particulière qu’il porte à la survie de la ville provienne d’un mariage avec une épouse babylonienne. Si un tel mariage n’est aucunement reporté, le fait est que plusieurs de ses fils portent des noms sémitiques et non iraniens. Le préfixe (Anti)belos est une hélénisation du préfixe ntn (hébreu netan = cadeau de), et révèle ainsi le sens du nom : cadeau de Bel. De même, Brochubelos signifie béni de Bel. Le sens du nom d’Artibelos est moins clair mais est au moins sémitique dans son rapport à Bel. Il a parfaitement été démontré que l’irruption de noms sémitiques dans les familles nobles perses en Babylonie résultait de mariages intercommunautaires visant à solidariser les noblesses perses et babyloniennes. L’acculturation dont il était question plus haut se fait au moins à Babylone dans les deux sens, y compris celui d’une babylonisation des élites perses. Cette politique volontaire d’assimilation, typique de l’idéologie Achéménide est d’ailleurs poursuivie par Alexandre.

Quand Alexandre arrive à Babylone avec sa cavalerie, il y est reçu par le satrape accompagné de sa famille, des élites locales, des gardes, et de la cavalerie babylonienne en poste renforcée de ce qui reste des troupes défaites. Le passage dans lequel Quinte-Curce décrit la reddition babylonienne à son conquérant montre que la cérémonie a été minutieusement réglée. Les autorités, Mazdai en tête, viennent à la rencontre d’Alexandre pour lui signifier leur sujétion, lui livrant ville, trésors, et citadelle. De fait, elle suit un code précis, procédure qui lui a à plusieurs reprises permis de survivre à la défaite, et qui a été appliqué plus tôt à d’autres villes conquises par Alexandre (Sardes), puis plus tard (Suse). La description de la cérémonie n’est pas sans rappeler celles qui se sont tenues lors des conquêtes par Cyrus ou Xerxès : les rues sont couvertes de pétales de fleurs, et Alexandre est monté sur un char, ce qui lui permet d’adopter la posture royale et le maintien hiératique propre au grand roi Achéménide (cette imagerie est présente sur de nombreuses monnaies satrapales au thème du grand roi défilant sur son char). Le symbole est important et vise à signifier au peuple le changement de maître. Comme ses prédécesseurs, Alexandre sacrifie aux dieux de la cité : l’accord permettant de gagner les faveurs des prêtres et du peuple comporte généralement la promesse de restaurer les temples. A l’instar de Cyrus le Grand qui 2 siècles plus tôt a restauré le temple de Marduk, Alexandre promet de rééditer cette restauration. Le temple était en effet endommagé, ce qui permet au Macédonien de se poser habilement en justicier-réparateur de dommages qu’il fait attribuer à Xerxès. En fait, la décrépitude du site est plus probablement imputable à l’absence de moyens, ses revenus étant depuis quelques temps presque totalement captés par l’empire.  



C’est à Babylone, qu’Alexandre prend ses premières décisions en tant que grand roi, le situant dans l’héritage assumé de l’empire Achéménide. Faisant le choix de renforcer son armée avec les troupes vaincues, il préserve les aristocraties locales qu’il enrôle à son service, en reproduisant le rapport don/service propre à la société aristocratique Achéménide. Alexandre en fait d’ailleurs un élément de propagande dans une lettre adressée à Darius : « je prends soin maintenant de ceux qui ont combattu à tes côtés, n’ont pas trouvé la mort dans la bataille, et ont cherché refuge auprès de moi ; et ils ne sont pas retenus de force auprès de moi ; c’est au contraire de leur plein gré qu’ils combattent auprès de moi ».  De fait, il récompense Mazdai en faisant de lui le premier perse honoré du titre de satrape, et lui confère la charge de la Babylonie.  Plus haute distinction encore, Mazdai est admis avec son frère Hydarnes parmi les compagnons du nouvel empereur. Il lui est également conféré le privilège unique de continuer à battre des monnaies d’argent à son nom. Si Mazdai reçoit la charge administrative de la Babylonie, les forces armées restent sous le commandement d’un officier macédonien. Mazdai reste en fonction jusqu’à sa mort, en 328 BCE.

La carrière de Mazdai est donc remarquable, l’amenant au service des grand rois durant la transition de l’empire perse à l’empire d’Alexandre. L’homme s’illustre donc aussi bien dans le domaine administratif que sur le plan militaire puis diplomatique, et ce dans des circonstances exceptionnelles.

Sources :

- Pierre Briant. Histoire de l’Empire perse de Cyrus à Alexandre. Fayard, Paris 1996. 1247pp.
- Pierre Briant. Darius dans l’ombre d’Alexandre. Fayard, Paris 2003. 666pp.
- Ernst Badian.MAZAEUS. In Encyclopædia Iranica. Online edition, 2015, accédée 19/05/2019.
- Muhammad Abdulkadyrovich Dandamayev. BABYLONIA i. History of Babylonia in the Median and Achaemenid periods. In Encyclopædia Iranica. Online edition, 1988/2011, accédée 08/06/2019.

Obole d’Argent de Mazdai (Mazaios/Mazaeus), satrape de Cilicie (361-334 BCE)
frappée à Tarse, 10mm pour 0,68g, axe des coins 6h.
Types: Casabonne series 1, SNG France 435, SNG Levante 191