Le moustique & les monnaies " sassanomorphes "

Dirham d'argent Arabo-Sassanide de Ḵoršīd, ispahbad Dabuyide du Tabaristan , 95 de l'ère post-Yazdegard (746 CE/129 AH). 1,8g pour 23mm, Axe des coins 3h. Malek type 32.4

L'avers montre un buste au type de Kosrow II regardant à droite au sein d'un grènetis double incomplet, étoile et 3 points derrière la couronne ailée, point en arrière et en bas du croissant étoilé au sommet de la couronne, croissant étoilé devant. Poitrail orné d’un médaillon de 4 points dont 1 se confond avec le collier, ornement d épaules : croissant étoile et ruban à gauche et croissant étoile et croissant au dessus à droite, boucle d'oreille en 3 points. A la droite du buste : nom du gouverneur : Hwršyt' en Pahlavi . A la gauche, rosette sous deux inscriptions Pahlavies: variante du classique 'pzwt = Afzut (prospérité, force), doublé à gauche par gdh = x''arr (splendeur). Hors marge, le quadrant inférieur droit porte la mention Pahlavie 'apd ou pd ou afd (louange? excellent?), 3 croissants étoilés entourent le grènetis.  

Le revers montre un autel du feu orné de rubans, entre 2 gardiens très stylisés coiffés d’un croissant , appuyés chacun sur son épée. Points se part et d'autre des flammes et du chapiteau d'autel. Inscriptions Pahlavies: à droite, la signature de l'atelier tpwlstn = Tabaristan , et à gauche, la date Pnčnwt' (95). Un triple grènetis entoure le tout, puis une alternance de 4 croissants étoilés (qui symbolisent le xᵛarnah, pouvoir royal mazdéen signant l’essence divine du souverain) et 4 groupes de 3 points (qui symbolisent Tištrya, divinité de la pluie fertile également associée à l’étoile Syrius).

Outre la date, les variations observées d'une émission à l'autre de Khurshid concernent en fait des éléments très mineurs se limitant à de subtiles modifications des symboles ou de points autour de la couronne, de la signature de l'atelier, ou de l'autel du feu. Le portrait reste lui, stable et très reconnaissable.

Il y a maintenant longtemps, à l’occasion du début de ma collection de monnaies du Tabarestān, je vous avais écrit quelques lignes présentant le Tabarestān et ses Ispahbads Dabuyides, gouverneurs Sassanides se déclarant issus de la lignée royale de Jāmāsb. Suite à la réception de nouvelles monnaies d’Umar bin al-‘Alā, l’un des premiers gouverneurs abbassides du Tabarestān, et personnage clef de la conquête de la province par les Abbassides, je me permets d’écrire brièvement quelques lignes me permettant de vous fournir quelques éléments contextuels géo-historiques, et numismatiques permettant de mieux aborder son monnayage.

Géographie du Tabarestān.

Le Tabarestān est une province historique du Nord de l’Iran, dont la racine territoriale correspond grossièrement à l’actuelle province iranienne du Māzandarān. Cette province a toujours été une enclave difficile à prendre en raison de sa position géographique. Elle consiste en une plaine étalée au Sud de la mer Caspienne, protégée au Sud et à l’Ouest par la chaine de l’Elbrouz, et qui n’est ouverte que par un petit défilé à l’Est, qui le relie au Gorgān . Les Sassanides avaient sécurisé cette passe par l’élaboration d’un mur, le deuxième plus long de l’antiquité après la muraille de Chine, parsemé de places fortes : le mur de Gorgān. Ce mur prolongeait l’Elbrouz à l’Est, et coupait l’accès à l’Iran depuis le Nord. Richement irriguée par de multiples cours d’eau, la plaine bénéficie d’un climat doux et humide, les vents marins de la Caspienne y étant stoppés par les contreforts de l’Elbrouz.

Le Māzandarān : rizières et blés en plaine fertile, entre mer caspienne et montagnes embrumées de l’Elbrouz.




NB: Photos prises par mes potes iraniens de Flickr, Licence CC

Après la défaite sassanide face aux tribus arabes unifiées par l’islam en 636 CE (18 AH) à al-Qadisiyya, la Perse est progressivement conquise, jusqu’en 651 CE (33 AH), année de la mort de Yazdegerd III , dernier empereur sassanide, inaugurant l’ère tabarie post-Yazdegerd (PYE) . L’empire Omeyyade naît, et couvre un territoire immense, depuis la péninsule ibérique, jusqu’en Transoxiane (actuels Ouzbékistan et Kazakhstan), mais ne parvient jamais à prendre pied au Tabarestān. En effet, cette enclave protégée du califat Omeyyade par les montagnes de l’Elbrouz reste acquise aux Sassanides. Gouvernée par les ispahbads Dābūyides, elle résiste donc plus d’un siècle à l’invasion arabe, et bat sa propre monnaie. Mais, en 750 CE (99 PYE, 133 AH), la donne califale change : la révolution Abbasside menée par Abū Moslem Khorāsānī  provoque la chute des Omeyyades, et porte la dynastie Abbasside au pouvoir. L’alliance des Abbassides avec Ḵᵛoršīd, dernier Ispahbad Dābūyide du Tabarestān, ne tient pas, et la province est attaquée en 758 CE (108 PYE, 141 AH) par Khāzim bin Khuzayma au nom du calife abbasside al-Mansūr. La dernière enclave Sassanide va progressivement tomber aux mains du nouveau califat.

Umar bin al-‘Alā, est un gouverneur Abbasside du Tabarestān exerçant de 120 à 130 PYE (771-781 CE ; 155-165 AH). Il est connu par ses émissions numismatiques, mais également par quelques acomptes historiques qui lui sont consacrés par al Tabari et surtout par ibn Esfandyar, acomptes qui permettent de mieux cerner sa carrière. Anciennement boucher à Rayy (actuelle Shahr-e Rey, au sud de la métropole de Téhéran), Umar embrasse une carrière militaire dans l’armée Abbasside. Cette carrière connaît de nombreux succès, mais aussi quelques revers, et lui permet finalement d’accéder aux fonctions de gouverneur du Tabarestān. Umar est mentionné pour la première fois dans les textes pour avoir participé à l’écrasement de la révolte de Sonbāḏ en 754 CE (103 PYE, 137 AH).

Il prend ensuite part à la campagne militaire menée par Khazim bin khuzayma en 141 AH, campagne qui marque le début de la conquête du Tabarestān. Celle-ci ne s’effectue toutefois pas d’un seul tenant, et, après la chute des  Dābūyides, la prise de contrôle Abbasside n’est initialement effective que sur la partie orientale de la plaine bordant la mer Caspienne et sur ses 2 principales villes Āmol et Sārī. Les zones montagneuses du sud et la partie occidentale de la plaine, plus facilement défendables, ne se rendent pas encore, et restent un temps sous le contrôle des ispahbad Bāvandides, également de lignée royale sassanide étant apparentés à Kavāḏ I, et les ispahbads du Qārenvand, tous anciens vassaux des Dābūyides. Umar joue d’abord un rôle majeur dans l’extension de la conquête abbasside, puisque c’est sous son commandement qu’une expédition enlève le Rūyān, élargissant les gains territoriaux à la partie Ouest de la plaine tabarie. Sous la gouvernance d’Abu al-Abbas, 3ème gouverneur abbasside, Umar est ainsi nommé commandant des places fortes de Yazdanabbad et Kaju vahi Qasabeh al- Rūyān, où sont stationnées d’importantes garnisons.

Umar est nommé gouverneur du Tabarestān à la suite de Khalid bin Barmāk courant 120 PYE (771 CE ; 155 AH), comme en témoigne parfaitement la transition à cette date entre les émissions  monétaires de ces 2 gouverneurs. Dès les premiers temps de sa mandature, il tente de prendre d’assaut les zones montagnardes, et essuie une cuisante défaite face à Vendāḏhormozd, ispahbad du Qārenvand, au cours de laquelle il perd un grand nombre de ses hommes, ce qui force le pouvoir Abbasside à dépêcher al-Mahdi à négocier une trêve. Quand ce dernier monte sur le trône abbasside en 158, Umar connaît une période de disgrâce pour avoir courtisé une fille du nouveau calife, il est alors remplacé par Saïd bin Da’laj en 125 PYE (776 CE, 160 AH), comme en témoigne encore la transition monétaire entre ces 2 gouverneurs datée de cette année-là. Umar continue de séjourner au Tabarestān sous le mandat de son successeur, qui dure qu’un peu plus de 2 ans. Ayant pris la tête d’un raid victorieux contre des rebelles du Gorgān, il est finalement pleinement restauré dans ses fonctions de gouverneur en 127 PYE (778 CE, 162 AH), pour une période de 2 à 3 ans.
Les 2 mandatures d’Umar se sont déroulées peu après la conquête des plaines tabaries, et correspondent à la consolidation du pouvoir abbaside sur l’Est et à son extension à l’ouest de la région. En revanche, sous ses mandats, le pouvoir abbasside ne parvient pas à s’imposer durablement dans les monts Elbrouz : le Daylam, le Rūyān, le Qārenvand et le Damāvand restent encore contrôlés par Vendāḏhormozd.

Le monnayage d’Umar est abondant, contrastant avec les émissions peu nombreuses des premiers gouverneurs abbassides. Cette abondance monétaire reflète certainement l’accession abbasside aux richesses du pays, permise par le meilleur contrôle des plaines tabaries sous la mandature d’Umar. Ces plaines très fertile étaient en effet déjà réputées pour leur abondance et les richesses qui en découlaient sous les sassanides. A l’abondance numérique des émissions d’Umar répond une diversité inédite pour le Tabarestān, que reflète mal le style apparemment stéréotypé de ces hémidrachmes. Ce style persiste en effet dans l’iconographie sassanide directement héritée de Ḵosrow II Parvēz, et dont les canons sont maintenus par les ispahbads Dābūyides puis par leurs successeurs abbassides. Cette diversité reste donc très discrète, et est objectivée surtout par des variations de légendes. Elle conduit Malek à distinguer 6 séries d’hémidrachmes (poids moyen 1,916g), principalement selon les légendes de l’avers.

- La 1ère Série porte sur les années 120 et 121 PYE, le nom du gouverneur est écrit en Pahlavi « ‘wml » dans le champ, et on trouve la mention « abd » au 2ème quadrant marginal.

- La 2ème série porte sur les années 120 et 121  PYE, le nom du gouverneur est écrit en Arabe « ‘mr » dans le champ, et on trouve la mention « abd » au 2ème  quadrant marginal.

- La 3ème série porte sur les années 120 à 125 PYE, le nom du gouverneur est écrit en Arabe « ‘mr » dans le champ, et on trouve les mentions « abd » et « arun » respectivement aux 2ème et 3ème quadrants marginaux.

- La 4ème série porte sur les années 122 à 127 PYE, le nom du gouverneur est écrit en Pahlavi « ‘wml » dans le champ, et on trouve les mentions « abd » et « arun » respectivement aux 2ème  et 3ème  quadrants marginaux.

- La 5ème série porte sur l’année 125 PYE, le nom du gouverneur est écrit en entier en Pahlavi « ‘wml bn l’» dans le champ, et entier en arabe « ‘mr b al’Alā » aux 2ème et 3ème  quadrants marginaux. A noter que pour ces émissions, des fleurs de lys remplacent les groupes de 3 points dans la marge, entre les croissants étoilés.

- La 6ème série porte sur les années 127 à 130 PYE, le nom du gouverneur est écrit en Arabe « ‘mr » dans le champ, et on trouve les mentions « abd » et « nek » respectivement aux 2ème et 3ème quadrants marginaux.

A noter que l’ornement de poitrine du buste change légèrement selon les séries. Il consiste en un médaillon de 4 points dont l’un se confond avec le collier sur les séries de 1 à 4, et en une étoile centrant un cercle surmonté d’un point confondu avec le collier pour les séries 5 et 6.De même, les symboles astraux (étoile et croissant) ornant la couronne de l’avers ou flamme de l’autel du feu au revers, connaissent-ils des arrangement variables au sein même de chaque série. Parfois, des points surnuméraires peuvent également être notés, près de la couronne ou de la signature de l’atelier.

Il serait tentant d’attribuer des ateliers différent aux émissions selon qu’elles portent le nom d’Umar soit en Pahlavi soit en Arabe, mais rien ne permet de valider une telle hypothèse, et il semble que ces monnaies aient été émises indifféremment principalement à Āmol, et pour une certaine part à Sārī. D’autres monnaies plus rares ont également sont également reportées. L’une, classique au style ispahbad a été frappée l’année 129 PYE sur un flan plus large tel celui des drachmes arabo-sassanides frappées ailleurs en Iran, d’autres, ont été frappées sur des flans de bronze également à l’année 129 PYE. De même, quelques fals islamic conventionels au nom d’Umar bin al-‘Alā ont également été émis sur les périodes correspondantes à ses mandatures, par un atelier nommé Tabarestān mais qui pourraient avoir été frappés sur un autre site que ceux dédiés aux émissions du style ispahbad.  

La chronologie des émissions du Tabarestān illustre bien les différents temps de mandature d’Umar : succession de Khalid bin Barmāk en 120 PYE, éviction au profit de Saïd bin Da’laj en 125 PYE, et retour en grâce en 127 PYE. Elle suggère que dans cette région encore instable et incomplètement conquise, la gouvernance est partagée avec plusieurs hommes forts ayant également autorisation d’émission monétaire.

Hémidrachme de bronze d’Umar bin al-‘Alā, 123 PYE type Malek 211.1-8 (photo acSearch ; Islamic Coin Auction 10 lot 20)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 1ère série PYE 121 (nouvelle entrée)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 2ème série PYE 121 (photo acSearch ; Auktionshaus H. D. Rauch GmbH Mail Bid Sale 8 lot 193)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 3ème série PYE 122 (nouvelle entrée)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 4ème série PYE 124 (nouvelle entrée)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 5ème série PYE 125 (photo acSearch ; Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG Auction 188 lot 497)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 6ème série PYE 129 (collection personnelle moustique, déjà présentée dans ce fil)

Hémidrachme d’Umar bin al-‘Alā , 6ème série PYE 128 (nouvelle entrée)

Hémidrachme d'argent des Ispahbads Dabuyides du Tabarestān, Farrukhān-e Bozorg, 73 de l'ère post-Yazdegard (724 CE/106 AH). 2g pour 25mm, axe des coins 1h. Malek 2ème série type 14 (pour le moins peu fréquent)

L'avers montre un buste au type de Kosrow II regardant à droite au sein d'un grènetis double incomplet, groupe de points-étoile derrière et croissant-étoile devant la couronne ailée. Boucle d’oreille en Trois points. Poitrail orné d’un médaillon en 3 points dont 1 confondu avec le collier, ornements d’épaules en croissant-étoile à gauche et à droite. A la droite du buste nom de l’ispahbad en Pahlavi : plhw’n = Farrukhān surplombé d'un autre croissant. A la gauche, rosette sous inscription Pahlavie: gdh = x''arr (splendeur) doublée par 'pzwt = Afzut ou Abzut (prospérité, force). Légendes marginales ::  ‘pd = abd (excellent, louange)  et  nwk’ = nek (bon, bien) respectivement aux 2ème et 3ème quadrants marginaux. (2ème série d'émissions), 3 croissants étoilés entourent le grènetis.

Le revers montre un autel du feu orné d'un ruban double ascendants, entre 2 gardiens très stylisés appuyés chacun sur son épée, coiffés de couronnes (relevés vers le haut et non vers le bas comme les bonnets sur les 2 autres de mes hémidrachmes du même ispahbad). A droite de la flamme: croissant, à gauche : étoile. Inscriptions Pahlavies: à droite, la signature de l'atelier tpwlstn = Tabarestān, et à gauche, la datesyhpt’t  = haftod o si (73). Un triple grènetis entoure le tout, puis une alternance de 4 croissants étoilés (qui symbolisent le xᵛarnah, pouvoir royal mazdéen signant l’essence divine du souverain) et 4 groupes de 3 points (qui symbolisent Tištrya, divinité de la pluie fertile également associée à l’étoile Syrius).