Ḵhosrow Ier “Anuširwān” (à l’âme éternelle), également dit “le Juste” (531-579), est le fils et successeur de Kavaḏ Ier et de la fille d’un commandant militaire du Khorassan, d’origine Parthe. Selon les chroniques de Tabari, il serait le fruit de l’union illégitime de Kavad et d’une paysanne Turkmène rencontrée en cours d’exil chez les Huns Hephtalithes. Sous son règne, l’empire connaît une nouvelle et dernière expansion.
Sur le plan militaire, Khosrow 1er reprend la guerre contre Byzance en 540 après une première période de paix consacrée par un traité. Il mène une campagne en Syrie, et déporte les habitants d’Antioche à proximité de Ctésiphon, où il fonde (la ville de Weh-az-āntiyok-Xusro (Khosro Antioche). Il combat en Colchide au cours de la guerre Lazique, et après traité, la province reste acquise aux romains contre tribut aux perses. Il guerroie également en Mésopotamie. A l’Est, il soutient les Huns Hephtalites attaqués par des tribus turques d’Asie Centrale, et conquiert la Bactriane. Appelés à l’aide par les yéménites envahis par les abyssiniens originaires d’Ethiopie, Khosrow Ier envoie un corps expéditionnaire et « expulse » les Abyssiniens de la péninsule (les chroniques de Tabari rapportent dans les fait, une extermination systématique des populations Abyssiniennes). Le Yemen passe alors sous administration perse, dirigée par une dynastie de gouverneurs perses, ce qui permet à l’empire de s’assurer du contrôle de la mer rouge et de ses voies commerciales. La guerre contre Byzance reprend en 571, en Arménie, Syrie, et en Cappadoce. La place forte Romaine de Dara est notamment conquise en Haute-Mésopotamie.
Des réformes et la construction d’infrastructures dopent une économie prospère, et la Perse connaît une floraison artistique, philosophique et scientifique sans précédant. Cet âge d’or fait que le souvenir de ce souverain, figure incontournable et incontestable de l’histoire Perse, reste très populaire en Iran. L’académie de médecine de Gondeshapur connaît une forte renommée dans tout le monde antique, et des penseurs et artistes provenant tant du monde romain que d’Inde affluent en perse. Plusieurs ouvrages religieux ou philosophiques sont traduits du sanscrit en pahlavi, qui seront par la suite diffusés dans le monde arabe, puis atteindront l’Europe : « Les milles contes », « Kalila et Dimma », « Le livre de Sinbad ». Sous Khosrow Ier, l’artisanat du textile et de l’orfèvrerie de cour culmine et livre nombre des plus belles œuvres, connues et admirées dans tout le monde antique.
Plat en Or représentant Khosrow ier chassant, Cabinet des médailles Paris, (CC Wikimedia Commons)Tasse dite "de Salomon", orfèvrerie et verrerie d'art Sassanide, médaillon représentant Khosrow Ier trônant, Cabinet des médailles Paris, (CC Wikimedia Commons) Ce renouveau formant le troisième et dernier âge d’or de l’empire sassanide trouve ses origines dans une série de réformes concernant l’impôt, l’agriculture, et l’organisation militaire probablement initiées par Kavad mais en fait conduites et menées à leur terme par Khosrow Ier, et dont la mise en œuvre explique les modifications du monnayage impérial observées à cette époque.
Si la monnaie officielle, la drachme d’argent est établie depuis des siècles, l’économie impériale n’a en fait jamais été basée sur la pleine circulation ou l’utilisation monétaire à l’échelle de l’empire. La drachme ne représente pas en pratique le support principal des transactions d’une économie reposant principalement sur le troc. Le financement de l’armée n’échappe pas à cette règle, les soldes étant généralement payées en rations, en terres, ou produits de récolte plus qu’en monnaie, ce qui entraîne une organisation féodale avec liens de vassalité des seigneurs vis-à vis du roi, et la dépendance des troupes vis à vis des seigneurs.
Jusqu’au 6ème siècle, le système de taxation sassanide repose alors principalement sur le partage des récoltes, dont une part est levée au titre de l’impôt royal, proportionnelle au rendement dont le taux est fixé annuellement sur décision royale, et levée par les fonctionnaires royaux. De plus, une taxe était imposée à la plupart des sujets, qui était principalement payée en espèce, mais pouvait être convertie en biens. Dans la réalité, ce système était inefficace : la taxation des récoltes fluctuantes se prête mal à la planification, les instabilités politiques les corruptions locales comme le caractère périssable de l’impôt rendent difficile son bon acheminement en l’état jusqu’au roi, et seuls, les domaines royaux semblent être en mesure d’être imposés correctement.
A l’aube du 6ème siècle, le montant des taxes supportées par la paysannerie devient trop lourd, voire oppressif et les guerres régulières avec les Huns Hephtalites provoquent des famines conduisant le roi à consentir parfois, à des exemptions de taxe. Le partage des femmes et des biens prôné par Mazdak rencontre alors un écho favorable dans la population, le pays connaît de nombreuses révoltes. Le succès du Mazdakisme affaibli la noblesse, et est supporté par Kavad, qui en épouse initialement les principes, avant de se rétracter et de laisser Khosrow éradiquer le mouvement, à un moment où la noblesse dépossédée de ses terres ne représente plus une force significative d’opposition au pouvoir royal, avant de réformer l’empire. La taxation de la terre est alors monétarisée, les taux d’imposition sont fixés et planifiés selon l’importance du patrimoine terrien et la nature des productions : 1 drachme par jarre de céréales, 8 par jarres de vin, 1 par palmier dattier etc… Un système d’évaluation est mis en place reposant sur les prêtres érigés en juges locaux, permettant d’adapter la taxation aux fluctuations des réformes, qui introduit une plus grande justice devant l’impôt. Si une partie des taxes reste certainement levée en denrées, cette part est réduite, et le système d’imposition gagne en efficacité, permettant alors d’asseoir la politique sur des prévisions budgétaires fiables. La taxation des sujets, est également revue, le roi introduit la progressivité de l’impôt en rapport avec le statut social du sujet : taxation immobilière des propriétaires d’immeubles, femmes, enfants et vieillards sont exemptés de taxes. Une capitation est également imposée sur les sujets ne relevant pas de la religion officielle zoroastrienne, juifs et chrétiens doivent alors acquitter une taxe.
Le ministre Bozorgmehr conseille Anushirvan, miniature du 16ème siècle illustrant un exemplaire du Shahnameh (Livre des rois) de ferdowsi, galerie kervorkian Une réforme agricole est également menée, privilégiant les petites unités géographiques plus faciles à imposer, que des grands domaines appartenant à de puissantes familles qui accumulant richesses deviendraient susceptibles par leur pouvoir de défier le roi. Les fermiers dépossédés de leur biens par le mouvement mazdakite sont restaurés dans leur terres, et en outre, des mécanismes d’aides financières sont déployés permettant d’assister les fermiers ayant fait face à des désastres, ayant pour but de relancer leur production.
En parallèle, Khosrow Ier réforme l’armée en profondeur: il réorganise la cavalerie en petites unités disponibles et entraînées qu’il place sous son commandement direct, à sa disposition permanente, et qu’il salarie. Il en définit l’armement et l’équipement type, qui doit être complet à l’incorporation et contrôlé pour obtention de la solde. Les cavaliers sont recrutés parmi les jeunes nobles issus des grandes familles comme de la noblesse des provinces, qui souhaitent embrasser une carrière militaire. Les familles de petite noblesse intègrent ainsi un appareil d’état centralisé. Il recrute également des troupes locales issues des populations nomades des frontières de l’empire, destinées à contenir les invasions en attendant le renfort des troupes royales. D’autres forces enfin, issues des territoires semi-indépendants, constituent les forces d’appoint mobilisables selon les besoins, mais qui en pratique, sont la faille du dispositif militaire car difficilement utilisables dans la durée. Le commandement de l’armée est assuré directement par le roi, le poste de commandant militaire suprême est supprimé, remplacé par un quartet de généraux chargés chacun d’une des 4 zones militaires divisant l’empire, les commandants des marches périphériques de l’empire étant placés directement sous les ordres du roi.
Si les réformes semblent porter leur fruits dans les premières décades, il semble que leur effet se soit amenuisé avec le temps : les mécanismes de contrôle se font moins efficaces, et le gouvernement central se heurte de plus en plus aux corruptions locales. Les troupes non royales, dont la solde n’est pas assurée par le pouvoir impérial échappent au contrôle du souverain et se livrent régulièrement au rançonnement et au pillage des paysans, de plus, les postes militaires adoptent avec le temps un caractère héréditaire, et le pouvoir est donc transmis familialement, ce qui compromet progressivement le contrôle royal et favorise la re-émergence de grandes noblesses puissantes. Les failles du système affaibliront progressivement l’empire sassanide jusqu’à sa chute prochaine, sous l’assaut des tribus arabes unifiées sous la bannière de l’islam.
Si le règne de Khosrow Ier se distingue par un fort développement artistique, philosophique, et scientifique il semble marquer le déclin du monnayage sassanide, dont la dessin devient de plus en plus schématique et simpliste. Soumis par les réformes à des impératifs de forte production, les émissions monétaires se heurtent à des difficultés techniques : la trop grande finesse des flans n’autorise qu’imparfaitement l’impression des coins, laissant fréquemment apparaître des zones restées vierges sur les monnaies. À ces limitations techniques s’ajoutent des insuffisance artistiques faisant apparaître l’image du roi plus comme des caricatures simplistes que comme de véritables portraits. En outre, typologie et style des avers des monnayages du règne de Khosrow Ier restent en continuité avec les avers des dernières émissions réalisées sous Kavad, avec très peu de modifications, portant par exemple sur les rubans ou sur les symboles de croissants étoilés hors grènetis perdant parfois leurs étoiles. Comme Kavad, l’avers des monnaies de Khosrow ne mentionne que le nom du roi avec 2 variantes orthographiques : « hwslwb » la plus commune, et « hwslwdy » plus rare. Au nom, s’ajoute à partir de la cinquième année de règne la légende « ʾpzwny » (prospérité) comme déjà vu sur les monnaies de Kavad. Si l’avers est peu modifié, le revers des monnaies de Khosrow Ier porte néanmoins quelques nouveautés : les gardiens du revers sont en effet représentés frontalement sur les monnayages du Type I, portant une lance. L’autel du feu est également modifié, dont le tronc s’aminci jusqu’à ne former qu’une fine ligne verticale barrée de 3 traits et dépourvue de rubans. Après la cinquième année de son règne, il procède à la frappe de monnaies dont le revers ne subira que des modifications mineurs sous son successeur, Khosrow II « Parviz », constituant un canon typologique dont les sassanides ne s’écarteront plus jusqu’à la fin de la dynastie. On y retrouve la frontalité des gardiens mais qui portent le sabre, et l’autel du feu porte de nouveau des rubans mais, qui fait nouveau sur le monnayage sassanide, flottent soulevés au lieu de tomber.
Les dinars de Khosrow Ier sont extrêmement rares, et montrent le buste du roi de face, portant couronne à diadème formant un volute à droite, en continuité avec l’image de Kavad. Le revers, montrant le roi debout de face appuyé sur l’épée, restera quasi inchangé sous Khosrow II. Certaines monnaies portent des mentions spéciales : « gyhʾnprʾknyt » (qui dispense la beauté sur le monde) ou « gyhʾnʾpybym krtʾl » (qui délivre le monde de la peur). Quelques monnaies d’or aux types des drachmes frappées à l’atelier AT semblent ne pas être des émissions officielles, bien que probablement authentiques. La plupart des monnaies de Khosrow Ier portent au revers la signature de l’atelier à 3h et la date à 9h, mentions auxquelles peuvent s’ajouter des combinaisons de points ou sur les monnaies de l’an 8 les lettres hw (bon) en dehors du Grènetis. Au moins 45 ateliers sont recensés sous le règne de Khosrow Ier, dont la plupart étaient en fonction sous Kavad. Certains sont néanmoins inaugurés par Khosrow Ier, dont HWC (Khuzestan) LAM (Ram-Hormuz), NAL et WAL (incertains). On note que sous Khosrow Ier, l’atelier AS (Asuristan) cesse d’émettre en l’an 22 du règne, pour être remplacé en 23 WYHC (Weh-az-āntiyok-Xusro). Cette bascule d’activité semble ne signer qu’un changement de dénomination de l’atelier de Ctésiphon. Certains ateliers anecdotiques sous Kavad, auront par contre un développement d’activité important sous Khosrow Ier, comme AYRAN (Ērān-Xwarre-Šābuhr dont les ruines proches de Suse au Khuzestan répondent au nom moderne d’Iwan-e Karkheh ou « voûte de la [rivière] Karkheh ») et WYH, ce qui pourrait témoigner de l’application des réformes de taxation. Si l’organisation des ateliers montre une grande diversité et flexibilité, le peu de variation typologique des monnaies sous Kavad puis Khosrow Ier, semble plaider pour une centralisation de la production des coins, par l’autorité royale.
Drachme d’argent de Khosrow Ier 28,3mm pour 3,99g, Göbl SN type II/2. Avers Buste du roi à droite, portant couronne crénelée ornée d’un croissant frontal et surmonté du korymbos au sein d'un croissant débordant le grènetis et dont on distingue les restes de ruban à l’arrière, Symboles astraux : étoiles à l’avant et à l’arrière de la couronne et croissant à l’épaule à droite. Grènetis simple et croissants non étoilés aux côtés et en bas, Nom du roi en avant du buste partiellement masqué par l’étoile en haut et le ruban en bas. Légende abréviée en arrière du buste « arr afzut » (sa splendeur grandit). Revers : Gardiens couronnés de face appuyés sur leurs épées entourant un autel du feu à rubans flottants vers le haut, étoile à gauche du feu et croissant à droite. Atelier AYRA ou AYRAN à 3h et Datation (An 22 ?) à 9h.
Sources:- Tabarî, "La chronique, histoire des prophètes et des rois" trad Hermann Zotenberg, Actes Sud ed. 1980, ISBN 2742733183
- Robert Göbl, "Sasanian numismatics", Sanford J. Dust ed. 1990, ISBN 0942666631
- Rika Gyselen & Prudence O. Harper in Françoise Demange, "Les perses sassanides Fastes d'un empire oublié" Paris musées ed. 2006, ISBN 287900957X
- Nikolaus Schindel, "Kosrow I coinage", in Encyclopaedia Iranica 2006
http://www.iranicaonline.org- Zeev Rubin, "Kosrow I reforms", in Encyclopaedia Iranica 2009
http://www.iranicaonline.org- Nikolaus Schindel, "Sasanian coinage", in Encyclopaedia Iranica 2005
http://www.iranicaonline.org